Euro 2016 , la progression des Bleus un groupe auquel personne ne croyait

Euro 2016 , la progression des Bleus un groupe auquel personne ne croyait

Le Monde
| 11.07.2016 à 11h58
Mis à jour le
11.07.2016 à 20h01
|

Par Rémi Dupré et
Henri Seckel

Sonnés. André-Pierre Gignac tombe à quatre pattes sur la pelouse, dans laquelle il enfouirait volontiers sa tête s’il le pouvait. Laurent Koscielny reste accroupi de longs instants, le regard perdu dans le vide. Paul Pogba ne veut même pas regarder le vide, et relève son maillot pour cacher son visage. Celui de Blaise Matuidi disparaît derrière un rideau de larmes, tandis qu’il reçoit la médaille du vaincu. Christophe Jallet, qui n’a pas joué une minute de l’Euro, pleure tout ce qu’il peut, lui aussi. Il n’a pas plu du tout, dimanche 10 juillet sur le Stade de France, lors de la finale perdue par les Bleus (1-0), mais le gazon a quand même fini par être humide.

Pendant ce temps, dans l’autre moitié de terrain, les Portugais, hilares, font sauter leur entraîneur, Fernando Santos, dans les airs, Bruno Alves danse la farandole avec ses deux enfants et Cristiano Ronaldo fait le mariole en posant le trophée Henri-Delaunay sur sa tête, manquant au passage de le flanquer par terre.

Lire aussi :
 

Les larmes de douleur et de joie de Ronaldo

Didier Deschamps, abasourdi, a attendu quelques minutes après le coup de sifflet final pour enfin parvenir à quitter la touche et arpenter le pré à la rencontre de ses joueurs aussi hébétés que lui. Après ce qui ressemble vaguement à un tour d’honneur pour aller saluer la foule, Antoine Griezmann est le dernier d’entre eux à quitter l’arène, groggy. Lui et ses partenaires se sont vu rappeler brutalement cette règle de base du football : ce n’est pas toujours le plus beau qui gagne. « C’est frustrant, c’est chiant, lâche-t-il, mais c’est le foot. »

Dans les sous-sols du Stade de France, la déception, immense, sort de toutes les bouches bleues. « On est tous déçus, déchirés de ne pas avoir gagné », soupire le capitaine, Hugo Lloris. L’avant-centre Olivier Giroud souffle : « Ça se joue à rien. Mais on ne va pas refaire le match pendant quinze ans. » « C’est terrible, c’est un cauchemar, confie André-Pierre Gignac. Il va falloir digérer, mais ça va être dur. On va passer des vacances de merde. »

L’attaquant risque de passer quelques nuits à ressasser cette frappe sur le poteau dans les arrêts de jeu (92e) qui aurait évité les prolongations fatales et offert le titre aux Français, lesquels vont désormais avoir le temps de songer à ce qui vient de leur arriver, et peut-être de relativiser leur échec en finale. Car participer au dernier match du tournoi, compte tenu de là où ils étaient il y a un mois, était quasiment inespéré. Compte tenu de là où ils étaient il y a un an, encore plus.

Lire aussi :
 

Euro 2016 : le Portugal prive les Bleus d’une victoire en finale de « leur » Euro

Le « hold-up » de Lisbonne

Ironie de l’histoire, leur saison 2015-2016 s’est achevée comme elle avait commencé : face au Portugal et sur un hold-up. Pas de chance pour les Bleus, ils ont été victimes du second chez eux, après avoir réussi le premier, qui comptait pour du beurre, à Lisbonne. « Il s’est passé beaucoup de choses depuis [le premier match au Portugal], des choses pas forcément agréables, voire très désagréables, se souvenait Didier Deschamps samedi. Ça fait partie de cette année sportive. Je ne vais pas dire que tout est effacé aujourd’hui, mais on est là », en finale, un peu plus de dix mois après l’entame d’une saison marquante, éprouvante.

Ce 4 septembre 2015, au stade José-Alvalade, Didier Deschamps et sa troupe effectuent une rentrée sous tension. Le sélectionneur vient d’exprimer sa « colère » dans L’Equipe. Les Bleus ont chuté au 24e rang mondial, la fin de saison précédente a été calamiteuse : trois revers lors des quatre derniers matchs, dont une défaite en banlieue de Tirana, face à l’Albanie (0-1), après laquelle le taulier Patrice Evra s’est fâché : « On représente un pays. Tu peux rater un geste technique mais pas manquer d’envie. L’Euro, c’est dans un an, pas dans quatre. Il ne faudra pas venir pleurer. »

Noël Le Graët, président de la Fédération française de football (FFF), a fixé l’objectif minimal de ce tournoi à la maison : le dernier carré. A Lisbonne, l’équipe de France en semble bien loin. Elle souffre, elle ennuie, mais elle s’en sort miraculeusement sur un coup franc tardif de Mathieu Valbuena (1-0, 85e), alors encore un élément-clé d’une formation qui n’a pas grand-chose à voir avec celle qui commencera l’Euro l’été suivant. A l’époque, Raphaël Varane est le pilier de la défense ; personne ne connaît N’Golo Kanté ; Dimitri Payet navigue hors des radars ; Antoine Griezmann débute sur le banc ; et Paul Pogba joue en numéro 10 derrière les deux attaquants que sont Nabil Fekir et Karim Benzema.

Le premier des deux, si prometteur, disparaît au bout d’un quart d’heure : ligaments croisés du genou rompus, et première tuile dans la collection que Didier Deschamps va se constituer au fil des moins précédant l’Euro. Quant au second, il ne le sait pas encore, mais il ne revêtira plus qu’à deux reprises le maillot bleu, dont il sera ensuite privé pour une durée indéterminée.

Le poison de la « sextape »

Car deux mois plus tard, le 5 novembre, alors que les Bleus ont enchaîné les matchs amicaux victorieux (Serbie, Arménie, Danemark), Benzema est mis en examen dans ce qui s’appellera vite « affaire de la sextape », celle de Mathieu Valbuena en l’occurrence, qui s’est retrouvée aux mains de maîtres chanteurs décidés à le faire payer en échange de la destruction de la vidéo. Benzema avoue avoir servi d’intermédiaire et avoir averti Valbuena début octobre, à Clairefontaine, lors d’un stage de la sélection, mais il assure l’avoir fait pour arranger son coéquipier.

La déflagration est puissante, mais « l’affaire n’a pas de conséquence », assure Noël Le Graët au Monde. Le patron de la FFF est le seul à refuser de croire ce que tout le monde a rapidement compris : Didier Deschamps va devoir sacrifier Karim Benzema ou Mathieu Valbuena. A court terme, à cause du contrôle judiciaire du premier qui interdit aux deux hommes de se rencontrer. A plus long terme, à cause de l’inévitable fracture que va provoquer l’affaire.

Il faut attendre la publication par Europe 1 et L’Equipe d’écoutes accablantes pour Benzema, puis un entretien de Valbuena dans Le Monde, pour que Noël Le Graët se rende à l’évidence, et annonce le 10 décembre la suspension de l’attaquant du Real Madrid, « un crève-c’ur » : « Il ne sera pas sélectionnable au mois de mars, juin, juillet, si le dossier n’évolue pas. »

Lire aussi :
 

Mathieu Valbuena : « Même à mon pire ennemi, je ne ferais pas ça’ »

Les attentats et l’hommage de Wembley

Cette histoire empoisonne l’équipe de France. Le pays, lui, est plongé dans le noir depuis les attentats du 13 novembre. Ce soir-là, les Bleus affrontaient l’Allemagne au Stade de France, lorsque trois kamikazes se sont fait exploser autour de l’enceinte, avant que des fusillades et une prise d’otages n’aient lieu dans Paris, faisant 130 morts.

Les joueurs français découvrent l’ampleur du drame après la rencontre, sur les télés du stade. L’Euro 2016 et le football semblent dérisoires, alors que Lassana Diarra a perdu sa cousine, tuée rue Bichat, tandis que la s’ur d’Antoine Griezmann a survécu à la prise d’otages du Bataclan.

Quatre jours plus tard, un match amical face à l’Angleterre est au programme des Bleus. Aucun n’a envie de se rendre à Londres, où ils iront malgré tout, pour perdre 2-0 une rencontre qu’ils joueront la tête ailleurs. Le voyage s’avère tout de même positif, tant l’hommage des Anglais est vibrant. « Liberté, Egalité, Fraternité », peut-on lire sur la façade du stade de Wembley, à Londres, où tous les spectateurs ont appris La Marseillaise, qu’ils chantent à pleins poumons. C’est le dernier match des Bleus avant une longue trêve de quatre mois sans joutes internationales.

Lire aussi :
 

A Wembley, « La Marseillaise » chantée par les supporteurs anglais

Les « embrouilles »

Mars 2016, le cas Benzema va se préciser, en deux temps. Le 17 mars, Libération titre sur une « Nouvelle embrouille Benzema » : l’attaquant a été entendu en janvier comme témoin dans le cadre d’une enquête pour blanchiment en bande organisée et blanchiment de trafic de stupéfiants. Deschamps est furieux de l’apprendre par la presse, et non par l’intéressé lui-même. Les 25 et 29 mars, les Bleus jouent et gagnent avec panache deux matchs amicaux, face aux Pays-Bas (3-2) puis la Russie (4-2), sans Benzema, ni Valbuena. Griezmann et Giroud brillent. Coman excelle. Payet inscrit un coup franc somptueux.

Ces deux matchs convainquent « DD » de ne pas sélectionner Benzema, et la sentence tombe le 13 avril, dans un communiqué de la FFF qui « tient à rappeler que la performance sportive est un critère important mais pas exclusif (‘). La capacité des joueurs à uvrer dans le sens de l’unité, au sein et autour du groupe, l’exemplarité et la préservation du groupe sont également prises en compte par l’ensemble des sélectionneurs de la Fédération ».

Un mois plus tard, le 12 mai, voici la liste des 23 qui partiront à l’Euro, que Deschamps a dû composer avec doigté, entre les blessures (Debuchy, Zouma, Trémoulinas) et les affaires (Benzema, Valbuena, mais aussi Sakho, qui a subi en mars un contrôle antidopage positif dont il sera blanchi pendant l’Euro’). Les « affaires » concernent d’ailleurs aussi Deschamps lui-même : fin avril, Le Journal du ­dimanche a révélé que le sélectionneur était sous la menace d’une expertise judiciaire dans le cadre de l’enquête autour des transferts douteux de l’Olympique de Marseille, dont il fut entraîneur de 2009 à 2012. Par ailleurs, L’Equipe et Le Canard enchaîné ont publié des extraits d’écoutes téléphoniques réalisées lors de son passage dans la cité phocéenne, qui ne font pas apparaître le Bayonnais de 47 ans sous son meilleur jour. Bref, le patron des Bleus aborde la dernière ligne droite avant l’Euro dans un climat électrique.

Lire aussi :
 

Euro 2016 : les Bleus au bord du chaos

Coups du sort et dans le dos

La scoumoune semble s’abattre sur les Bleus de Didier Deschamps : Raphaël Varane se blesse fin mai, au début du stage de préparation des Bleus, et doit oublier l’Euro. « C’est un coup dur », admet le sélectionneur, contraint de rappeler Adil Rami, qu’il snobait depuis l’été 2013. Suite et fin de la série noire pour les Tricolores : Jérémy Mathieu, blessé, déclare forfait le 28 mai, ce qui fera le bonheur du réserviste Samuel Umtiti, titulaire en finale face au Portugal. Deux jours plus tard, c’est au tour du pilier Lassana Diarra de jeter l’éponge, une heure avant la date limite d’envoi de la liste des 23 à l’UEFA’

Lire aussi :
 

Euro 2016 : Deschamps l’équilibriste

Ultime soubresaut, alors que les Bleus sont en stage dans le Tyrol autrichien à dix jours du coup d’envoi de l’Euro, Karim Benzema accorde un entretien incendiaire au journal espagnol Marca, dans lequel il accuse Deschamps « d’avoir cédé à la pression d’une partie raciste de la France » en ne le sélectionnant pas.

La situation dégénère, Eric Cantona et Jamel Debbouze s’en mêlent, estimant que Karim Benzema et Hatem Ben Arfa, non retenu malgré une belle saison à Nice, « payaient la situation sociale » du pays, et que les Bleus « n’étaient pas représentatifs des banlieues ». Il est temps que l’Euro débute. A cinq jours du coup d’envoi, François Hollande dîne à Clairefontaine avec les joueurs, à qui il donne « rendez-vous le 11 juillet » à l’Elysée.

Lire aussi :
 

En pleine polémique Benzema, Cantona maintient ses propos sur le racisme du football français

Le « basculement » irlandais

Le tournoi démarre, et le bazar des mois précédents passe rapidement au second plan. Car au premier apparaissent déjà d’autres sources de stress, liées au niveau de jeu des Bleus, séduisants en matchs de préparation, mais terriblement à la peine face à leurs adversaires du premier tour. Si les Bleus triment autant face à la Roumanie (2-1, but de la victoire de Payet à la 89e), l’Albanie (2-0, ouverture du score à la 90e) et la Suisse (0-0), à quelle boucherie va-t-on assister face aux grosses cylindrées ‘ Cerise sur le gâteau : un début de polémique apparaît autour d’un geste de Paul Pogba, que certains interprètent comme un bras d’honneur, sans que ne semblent évidents ni le geste en soi, ni son destinataire.

En résumé, les débuts sont poussifs, l’horizon semble assez terne. Mais aucune équipe, hormis l’Allemagne, n’a vraiment séduit lors du premier tour. Et puis la perspective va changer. « Le basculement dans ce tournoi, c’est la deuxième mi-temps contre l’Irlande », estime Noël Le Graët. Malmenés en huitièmes de finale, les Bleus renversent la vapeur, et s’imposent 2-1 grâce à deux buts de Griezmann coup sur coup à l’heure de jeu.

L’Islande, tombeuse de l’Angleterre (2-1) et nouvelle terreur officielle de l’Euro, se profile en quarts de finale. Elle est laminée en une mi-temps (4-0, score final 5-2). On en vient à croire que Didier Deschamps, avec sa science tactique et sa baraka légendaire, peut emmener son groupe au bout. Finalement, les absences ne posent pas vraiment problème dans ce drôle de tournoi. Au contraire, celle de Benzema semble avoir libéré tout le monde, et facilité l’émergence de nouveaux talents.

Lire aussi :
 

Contrat rempli pour les Bleus

La cure d’humilité

Mieux, six ans après, les fantômes de Knysna disparaissent. Bien que vivant à huis clos dans leur château-bunker de Clairefontaine, les Bleus apparaissent sympathiques et détendus. Et, même s’il a fallu le forcer un peu au départ, ils nouent ce qui ressemble à un véritable lien avec le public, qu’ils vont saluer longuement après l’extraordinaire demi-finale à Marseille face à l’Allemagne (2-0), véritable sommet du tournoi pour les Bleus.

Lire aussi :
 

France-Allemagne, voyage au bout de l’amer

Tout le pays s’entiche subitement de « Grizou », nouvelle idole, auteur d’un nouveau doublé face à la Mannschaft. « D’une sélection, Deschamps a fait une équipe, analyse Noël Le Graët. Cela n’a rien à voir avec une opération marketing. Il a réussi à maintenir les 23 dans un certain équilibre intellectuel, alors que c’est déjà difficile d’associer deux cadres d’une entreprise’ »

Lire aussi :
 

Euro 2016 : La génération Griezmann insouciante, ambitieuse et sans complexe

« On n’est pas parfaits », aura souvent répété Deschamps au cours du tournoi. C’est peut-être parce qu’elle en a été consciente et n’a pas cherché à le cacher qu’on a bien aimé cette équipe de France, à qui le sélectionneur tricolore aura imposé une sévère cure d’humilité, et qui n’aura, si l’on met de côté le match hors normes de Wembley, perdu qu’une seule rencontre sur seize cette saison. La mauvaise.

Les dates

17′ novembre’ 2015 Quatre jours après les attentats qui ont ensanglanté Paris et les alentours du Stade de France, les Bleus s’inclinent (2-0) contre l’Angleterre, à Wembley, lors d’un match amical riche en hommages.

10 décembre 2015 Le président de la Fédération française de football, Noël Le Graët, annonce la suspension « jusqu’à ce que son dossier judiciaire évolue’» de Karim Benzema, mis en examen dans l’affaire du chantage à la «’sextape’», dont son coéquipier Mathieu Valbuena est la victime.

13′ avril’ 2016 Noël Le Graët et Didier Deschamps annoncent que Karim Benzema ne disputera pas l’Euro 2016.

12′ mai Didier Deschamps confronté par la suite à une cascade de forfaits divulgue sa liste des 23 joueurs retenus pour le tournoi.

10 juin Grâce à un but tardif de Dimitri Payet, les Bleus s’imposent (2-1) à l’arraché contre la Roumanie, lors du match d’ouverture.

7 juillet Les Français font chuter (2-0) les champions du monde allemands en demi-finales.

Dimanche 10 juillet L’équipe de France s’incline (0-1) en finale face au Portugal.

Leave A Reply