Euro 2016 , la bonne étoile de Didier Deschamps

Euro 2016 , la bonne étoile de Didier Deschamps

Le Monde
| 08.07.2016 à 09h30
Mis à jour le
10.07.2016 à 09h55
|

Par Henri Seckel et
Rémi Dupré (Marseille, envoyés spéciaux)

L’équipe de France va participer à l’ultime rencontre de l’Euro 2016, dimanche 10 juillet, au Stade de France contre le Portugal ; elle était déjà au programme de la première, le 10 juin, dans la même enceinte. Au coup de sifflet final du match d’ouverture, remporté dans la douleur (2-1) face à la Roumanie, il fallait faire preuve d’un grand optimisme pour imaginer que les Bleus puissent atteindre la finale de la compétition. Et pourtant.

Les hommes de Didier Deschamps ont acquis leur place grâce à la victoire (2-0) sur l’Allemagne obtenue dans la fureur et la sidération du Stade Vélodrome de Marseille, jeudi 7 juillet. Ils ont ainsi offert à la France la possibilité de remporter le troisième titre européen de son histoire (après 1984, déjà en France, et 2000 aux Pays-Bas et en Belgique).

Depuis la Coupe du monde 1958, en Suède, jamais les Tricolores n’avaient battu la Mannschaft en compétition internationale. Ces derniers jours, tout l’Hexagone avait ressassé les pénibles échecs de 2014 (Coupe du monde au Brésil), de 1986 (Coupe du monde au Mexique) et surtout de 1982 (Coupe du monde en Espagne).

Les Bleus disputeront dimanche la troisième finale d’un Euro de leur histoire. Jeudi à Marseille, ils ont battu l’Allemagne (2-0) pour s’offrir ce privilège.

Kai Pfaffenbach / REUTERS

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Certes Didier Deschamps n’a pas fait disparaître  rien ne fera disparaître ‘ le traumatisme de Séville, mais il a réussi à éliminer du tournoi les champions du monde en titre. Les Allemands, qui se présentaient face aux Bleus, étaient légitimement les grands favoris de l’Euro.

En battant la formation de son homologue Joachim Löw, le sélectionneur français a brisé le cycle infernal dans lequel se débattaient les Bleus depuis le coup de boule de Zidane en finale de la Coupe du monde 2006, face à l’Italie : éliminations au premier tour de l’Euro en 2008 et du Mondial sud-africain en 2010  avec, en « prime », le psychodrame national de Knysna ‘, en quart de finale de l’Euro 2012 puis du Mondial brésilien, en 2014, à l’issue de tournois sans relief.

« Ça a été difficile de trouver un équilibre »

Cette décennie de vaches maigres a été balayée par l’équipe du Bayonnais. A 47 ans, il aura dimanche l’occasion, dont il n’osait lui-même peut-être pas ­rêver, de devenir, après l’Allemand Berti Vogts en 1972 (sans toutefois jouer une minute) et 1996 ‘, le second sélectionneur à conquérir le trophée Henri-Delaunay après l’avoir déjà soulevé comme joueur, en 2000. « Il y a eu tellement de péripéties pour en arriver là, soufflait l’intéressé juste après le succès face aux Allemands. Ça a été difficile de trouver un équilibre. »

Mais Didier Deschamps est un funambule. Ballotté par d’importantes turbulences avant le tournoi, il a su rester debout sur son fil. Malgré la cascade de forfaits de dernière minute (Raphaël Varane, Lassana Diarra, Mathieu Debuchy, Jeremy Mathieu, Kurt Zouma, Benoît Trémoulinas) ayant chamboulé l’équipe mise en place depuis deux ans. Malgré la suspension de Sakho, contrôlé positif en mars par l’UEFA. Malgré l’apparition de son nom dans les affaires concernant des transferts douteux à l’Olympique de Marseille (OM), son employeur précédent. Malgré l’affaire dite « de la sextape » ayant ­entraîné, en avril, la mise à l’écart de Karim Benzema, meilleur buteur des Bleus en activité. Malgré la polémique autour des propos de ce même Benzema, juste avant l’Euro, sur la « partie raciste de la France » à laquelle Didier Deschamps aurait cédé en ne retenant aucun joueur d’origine maghrébine, une polémique qui a valu à « DD » de découvrir, sur un mur de sa maison à Concarneau (Finistère), un tag le qualifiant de « raciste ».

Didier Deschamps a survécu à tout, et le parcours de ses troupes depuis un mois confirme la tendance : cet homme possède une bonne étoile. L’équipe de France s’est hissée dans le dernier carré de l’Euro en esquivant tous les cadors, à la faveur d’un tirage au sort clément et des aléas du tournoi, et grâce à d’improbables victoires arrachées dans des situations désespérées face à la Roumanie (2-1, but victorieux à la 89e) et l’Albanie (2-0, ouverture du score à la 90e) au premier tour, ou encore face à l’Irlande en huitièmes de finale (2-1 après que les Tricolores ont concédé l’ouverture du score à la 2e minute et qu’ils ont attendu une heure avant de trouver le chemin des filets.

But de filou

Après le bonheur de tomber sur la faible Islande en quarts (5-2), les Bleus ont vu avec plaisir l’Allemagne perdre trois de ses piliers juste avant la ­demi-finale (Mats Hummels suspendu, Sami Khedira et Mario Gomez blessés), puis un quatrième (Jérôme Boateng, blessé) au cours d’une rencontre ­curieuse, où Antoine Griezmann a profité de deux incroyables ­erreurs individuelles pour inscrire un doublé : une main idiote de Bastian Schweinsteiger entraînant un penalty juste avant la pause, puis une sortie ratée de Manuel Neuer, instantanément sanctionnée d’un but de filou à vingt minutes de la fin.

Pendant une mi-temps, il a semblé ­impossible que la rencontre n’échappe aux champions du monde, et les voici à la maison. « La France a gagné, mais ­l’Allemagne était la meilleure équipe aujourd’hui », a répété le sélectionneur vaincu, Joachim Löw. Il n’a pas tort.

Son équipe a fait le jeu, elle a perdu. Celle de Didier Deschamps a fait l’inverse. « Je ne sais pas jouer pour jouer », disait ce dernier au Monde avant le Mondial 2014. Deux ans après, le constat est toujours vrai. Ce qu’incarne l’ancien capitaine des Bleus : la « gagne ». Et finalement, son équipe ressemble au joueur qu’il était. ­Caractère besogneux, esprit guerrier, répétition des efforts, et un soupçon de réussite.

Assuré de poursuivre sa mission jusqu’à la Coupe du monde en Russie dans deux ans, le sélectionneur fascine par ses coups de poker, son pragmatisme, sa capacité à inverser le cours d’un match sur un ou deux changements ou à adapter son système à l’adversaire, comme il le fit face à l’Albanie ou l’Irlande en passant du 4-3-3 au 4-2-3-1 et inversement.

Un destin pavé de succès

Depuis l’ouverture du tournoi, même s’il donne l’impression de parfois naviguer à vue, son coaching s’est avéré systématiquement payant, et la pertinence de ses choix parfois osés est illustrée à l’extrême par le cas du défenseur Samuel Umtiti.

Le néo-Barcelonais (22 ans), seulement réserviste au départ, n’a dû sa place dans les vingt-trois qu’à la défection de ­Jérémy Mathieu, à moins de deux semaines de l’Euro. Il était titulaire face à l’Allemagne jeudi, et pour sa deuxième sélection (quatre jours après la première), il a joué comme s’il avait toujours été là, et s’est montré décisif.

« Le destin, c’est le destin, a répondu le sélectionneur à un journaliste qui lui demandait s’il avait le sentiment d’en avoir un hors norme. On peut l’influencer mais chacun a le sien. » Celui de ­Deschamps, que ce soit sur le terrain ou sur le banc, en club ou en sélection, semble pavé de succès et d’une part de chance dont on ne peut pas écarter l’hypothèse qu’il sait mieux la provoquer que les autres.

Le 16 octobre 2012, pour l’un de ses tout premiers matchs comme sélectionneur, le successeur de Laurent Blanc faisait ­entrer Olivier Giroud à la 88e minute face à l’Espagne, alors que les Bleus étaient menés 0-1 à Madrid, en match de qualification pour le Mondial 2014. Dans les arrêts de jeu, Giroud égalisait et arrachait le nul face à la Roja, championne du monde et double championne d’Europe en titre.

Autre exemple, sans doute le plus frappant de sa bonne fortune : le 19 novembre 2013, quatre jours après une déroute à Kiev (0-2), Deschamps remplaçait Eric Abidal par Mamadou Sakho en défense centrale lors du barrage retour contre l’Ukraine. Résultat : doublé de Sakho, victoire 3-0, et qualification in extremis pour la Coupe du monde au Brésil.

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Survivre à tous les périls

Dimanche soir, Joachim Löw misera sur la France plutôt que sur le Portugal « qui ne l’a pas vraiment convaincu ­depuis le début », mais qui a aussi fait preuve d’une intéressante capacité à survivre à tous les périls. La Selecçao possédera un avantage non négligeable au coup d’envoi : vingt-quatre heures de récupération en plus, puisque sa demi-finale face au Pays de Galles, remportée sur le même score, a eu lieu mercredi soir.

Didier Deschamps est passé très tard, jeudi, en zone mixte, où il est venu lui-même ramasser les joueurs qui s’y trouvaient encore, en s’exclamant, euphorique : « Désolé, voiture-balai ! On a match dans trois jours ! »

Après avoir parfois ­bénéficié d’une semaine de repos entre deux rencontres sans savoir qu’en faire, le sélectionneur n’a pas caché qu’il aurait aimé « en avoir un peu plus cette fois-ci », et qu’un jour de récupération en moins constituait « évidemment » un handicap par rapport aux Portugais. Mais vu la baraka qui accompagne la carrière de Didier Deschamps, Cristiano Ronaldo devrait bien réussir à se blesser d’ici au coup d’envoi de la finale.

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