En 2017 je mange le c’ur léger

En 2017 je mange le c'ur léger

Se poser des questions oui, l’orthorexie non. Une alimentation saine ne nécessite pas forcément de dîner la peur au ventre. Alors on s’autorise la gourmandise avec ou sans gluten.

Le Monde
| 30.12.2016 à 16h47
Mis à jour le
31.12.2016 à 10h47
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Par Zineb Dryef

Qu’est-ce qu’on mange ‘ » Cette question d’enfant impatient résonne aujourd’hui comme une expression ­tragique. C’est vrai ça, qu’est-ce qu’on mange ‘ Des pâtes à la sauce tomate bourrées de gluten et de sucre ‘ Le tout revenu dans une casserole ­en aluminium ‘ Et cette noisette de beurre, ne contient-elle pas plus de graisse que n’en a jamais consommé Gwyneth Paltrow ‘

On a notre maîtrise en ­littérature comparée des magazines ­féminins, et il nous est impossible d’attendre les sept minutes de cuisson des pâtes sans songer qu’on est en train de s’empoisonner. Va donc pour des légumes rôtis. Ni gluten, ni lactose, ni viande, ni gras, ils sont les candidats parfaits pour une assiette saine on dit « healthy ». A moins que’ Les adeptes de la raw food (« nourriture crue ») le déconseillent vivement, car les cuissons à haute température « détériorent une bonne partie des vitamines, nutriments et enzymes des légumes, qui ­favorisent la bonne digestion et l’élimination des toxines ».

L’odyssée du bien-manger

Se lancer dans l’odyssée du bien-manger, c’est plonger dans l’ère du soupçon. Imaginer les risques du thé vert. Les effets secondaires de la myrtille. La pomme de terre, combien de divisions de pesticides ‘ Comment manger du poisson sans s’intoxiquer au mercure ‘ On veut la vérité sur le beurre. Les effets néfastes du lait. Et puis du sucre. Quant au café, des études aux conclusions totalement opposées lui prêtent tous les pouvoirs aux deux extrêmes, nous rendre aveugles et nous faire vivre plus longtemps. Même l’inoffensif brocoli, au vert pourtant évocateur de bonne santé, de longévité et de bien-être, n’est pas au-dessus de tout soupçon : il est accusé d’être goitrigène (susceptible de faire apparaître un goitre par dysfonctionnement thyroïdien).

Cette obsession pour l’alimentation saine porte un nom : l’orthorexie. Un phénomène ­décrit par l’Américain Steven Bratman en 1997. Ce médecin a lui-même passé une partie de son existence en quête de l’assiette parfaite. « Une journée remplie de jus d’herbes de blé, de tofu et de biscuits au quinoa peut donner le même sentiment de sainteté qu’une journée passée au service des pauvres et des sans-abri », ironisait-il alors. Pour savoir où vous en êtes, faites le « test de Bratman », dix questions sur vos us et coutumes en cuisine. Dans tous les cas, il vous est interdit de jeter un regard condescendant à votre voisin de métro qui s’enfile un jambon-beurre en toute ­inconscience pendant que vous ­sirotez un jus prétox la prétox, c’est une détox préventive (dont on se ­demande à quoi elle peut bien servir quand vous vous alimentez correctement toute l’année).

Obsession de ne pas tomber malade

Car, même sans être nutritionniste, adopter un mode de vie healthy suppose d’afficher, sinon de posséder, de bonnes connaissances nutritionnelles. « Je mélange petits pois et riz brun pour une bonne dose de protéines, ou lentilles et persil pour éviter les ­carences en fer », ou « les oléagineux (amandes, noix, noisettes), vos alliés pour avoir un teint lumineux » écrivent les adeptes de la vie saine sur leurs blogs, comme si leur obsession de ne pas tomber malades précédait le plaisir gustatif. Le magazine Healthy Food propose ainsi des recettes vegan/sans lactose/sans gluten/sans uf/­végétariennes systématiquement « annotées par des nutritionnistes ».

« On est les seuls mammifères à ne plus savoir comment se nourrir », Agathe Audouze, fondatrice du Café Pinson,

Un acte qui devrait être simple « manger » est devenu follement compliqué. La défiance envers les industriels de l’agroalimentaire, l’impression d’être allé trop loin dans le progressisme semble favoriser ce retour au naturel et donc à ­l’inconnu. « On est les seuls mammifères à ne plus savoir comment se nourrir, observe Agathe Audouze, fondatrice du Café Pinson, une adresse parisienne « saine et gourmande ». « On est complètement paumés. Ceux qui engagent un changement dans leur façon de manger paniquent devant la masse d’informations contradictoires produite sur l’alimentation. » Mlle Pigut, animatrice d’ateliers de cuisine bio et vegan, constate, elle aussi, une angoisse croissante chez ses clients, ­obsédés par leur santé. « J’essaye de ­dédramatiser, car certains s’enferment dans un dogme alimentaire, explique-t-elle. Je leur dis que je ne me prends pas la tête, que je ne me demande pas tous les jours si j’ai avalé assez de protéines. »

Les vertus du gras

Le gras est diabolisé. À tort ! Le nutritionniste Arnaud Cocaul donne trois bonnes raisons d’en manger

C’est bon pour la santé

Le gras les lipides contenus dans les aliments est essentiel au bon fonctionnement de notre organisme : il contribue à fabriquer du bon cholestérol et à limiter les risques de maladies cardio-vasculaires ou immunitaires. Les « bons gras », à distinguer des mauvais (acides gras saturés et trans), sont les acides gras insaturés (oméga 3, 6 et 9) que renferment l’avocat, les poissons gras (saumon, sardine’), les huiles de colza, de lin ou d’olive, ou encore les fruits à coques (amande, noix’).

C’est la vie

C’est en général le gras et le sucre qui pâtissent des restrictions alimentaires. Évincer le gras est un non-sens médical. Il faut vivre avec mais mieux vivre avec, en diversifiant les sources de gras et en les consommant avec pondération. Vous venez de finir le pot de pâte à tartiner à la petite cuillère ‘ Parfait ! Le craquage fait aussi partie de notre hygiène de vie.

C’est onctueux

La graisse donne de l’onctuosité à ce que l’on mange, ce qui explique notre appétence pour ces aliments. L’onctuosité est même la première sensation que nous ayons expérimentée, in utero, avec le sucré. À souligner que le bon gras se trouve dans de bons produits : les aliments non transformés, labellisés ou issus d’élevages locaux sont à privilégier.

Les promesses contenues dans la promotion des superfood curcuma, spiruline, chou kale, grenade, radis noir, myrtilles, baies de goji, quinoa’ sont relativement proches de celles qu’on lit parfois sur les cartes de marabouts : bonheur, santé et prospérité (mais peut-être pas le retour de l’être aimé). « Les premiers super­aliments, ce sont les fruits et légumes de saison », rappelle Mlle Pigut, qui se ­méfie des produits miracles. Devenue vegan par conviction, elle juge étonnante cette obsession pour le bien-être « quand je cuisine, je me fais ­plaisir. La santé vient ensuite » et ­déplore la méconnaissance qui accompagne ce mouvement. « On dit qu’être ­végétarien, c’est cher, mais les graines de chia, ce n’est pas notre alimentation de base. »

Adeptes de la paléo

S’il existe autant de façons de se nourrir sainement que d’individus, tout le monde s’accorde sur l’exclusion ou du moins la réduction du ­sucre, du gluten, du lactose et de la viande sauf les adeptes de la paléo (manger comme à l’ère paléolithique). « Je n’ai pas de vision dogmatique, chacun fait ce qu’il peut, juge la fondatrice du Café Pinson. C’est un chemin personnel d’arriver à questionner ce qu’on a dans son assiette. Mais il ne faut pas perdre de vue le plaisir, qui n’est pas incompatible avec la santé et l’éthique. »

L’Américain Michael Pollan, journaliste et auteur du Dilemme de l’omnivore (Bloomsbury Publishing PLC, 2011, non traduit), plaide pour une alimentation sans prise de tête, qu’il résume en trois points : « Mangez de la vraie nourriture. Juste ce qu’il faut. Surtout des végétaux. » Après tout, des pâtes à la sauce tomate, ce n’est jamais rien d’autre que des céréales et des fruits. Et c’est délicieux.

Laissez-vous tenter !

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