Dans les villages de Sierra Leone la réconciliation n’a pas que du bon

Dans les villages de Sierra Leone la réconciliation n'a pas que du bon
Dans un centre pour personnes amputées de Freetown, capitale de la Sierra Leone, deux amis partagent une cigarette, en mai 2000.
Crédits : © Reuters Photographer / Reuter / REUTERS

Il n’y a pas que du bon dans une réconciliation. C’est ce que tend à prouver une longue enquête publiée dans le magazine Science du vendredi 13 mai après une étude menée en Sierra Leone dans 200 villages et auprès de 2 383 personnes.

La Sierra Leone, petit pays d’Afrique de l’Ouest, a été dévastée entre 1991 et 2002 par une guerre civile qui a fait plus de 50 000 morts. Parfois par des voisins ou des membres de la même famille, des milliers de civils ont été amputés, des femmes violées.

Cocaïne et poudre à fusil

Le conflit, déclenché par l’attaque de deux villages par le RUF (Revolutionary United Front) en mars 1991, a déplacé 2,6 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population. Et, avec une dizaine de milliers d’enfants soldats shootés au « brown-brown », un mélange de poudre à fusil et de cocaïne, la violence a souvent atteint son paroxysme comme le montrent des films tels que Beasts of No Nation ou Johnny Mad Dog.

La fin de la guerre a été signée officiellement le 18 janvier 2002, après le désarmement et la démobilisation de plus de 47 000 combattants. Derrière lui, le conflit a laissé dans ce pays bordé de plages paradisiaques une économie exsangue et d’immenses séquelles psychologiques.

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Après un conflit, des ONG spécialisées accompagnent souvent la réconciliation entre les populations. Elle est parfois encouragée par le développement d’activités sportives ou culturelles. Fondée en 2007, Fambul Tok (qui peut se traduire par « Discussion familiale » en krio, la langue communément parlée en Sierra Leone) tisse des liens sociaux dans les villages en proposant des discussions fondées sur l’aveu puis le pardon, selon un modèle de commissions dites de vérité et réconciliation, qui ont déjà fait leurs preuves en Afrique du Sud ou au Rwanda lors des gacaca (tribunaux coutumiers).

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Mais, à l’inverse de ces tribunaux populaires instaurés au pays des Mille Collines après le génocide et qui ont jugé près de deux millions de personnes avec un taux de condamnation à de la prison ou des travaux d’intérêt général de 65 % , il n’y a pas eu de jugements au niveau local après la guerre civile de Sierra Leone.

L’ONG Fambul Tok propose, contre un financement assez modeste (de 132 à 176 euros pour l’ensemble des participants), de favoriser l’échange entre les villageois en les encourageant à raconter leur guerre et son lot d’atrocités puis à se pardonner. Après deux jours de débats, de face-à-face entre anciens combattants et victimes, un arbre symbolique de la paix est planté au cours d’une cérémonie.

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L’étude de Science, réalisée par Jacobus Cilliers, professeur à l’université de Georgetown, Oeindrila Dube, de l’université de New York, et Bilal Siddiqi, économiste au groupe de recherche de la Banque mondiale, mesure l’impact de ces actions sur la population, une décennie après la fin de la guerre. En comparant cent villages où le projet a été suivi et cent autres où il ne l’a pas été, elle montre assez nettement que le fait d’encourager la cohésion sociale ne développe pas que des aspects positifs.

« Vieilles blessures »

« Les individus qui pardonnent y gagnent un bénéfice psychologique, estiment les chercheurs. Mais ces gains sont parfois altérés par d’autres effets. Cela confirme le fait que pardonner n’est pas oublier. »

Un questionnaire rempli par les participants montre, par exemple, que ceux qui ont participé à des actions de réconciliation ont tendance à s’impliquer davantage dans la société, en participant à des associations religieuses ou de parents d’élèves. Ils participent aussi plus que les autres à la construction d’édifices publics, tels que des écoles ou des centres de soin, dans ce pays très beau mais extrêmement pauvre qu’est la Sierra Leone.

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« Mais parler des atrocités peut se révéler traumatisant, analysent les auteurs de l’étude. Evoquer des souvenirs de guerre semble rouvrir de vieilles blessures psychologiques. » Des symptômes post-traumatiques, comme l’anxiété et la dépression, sont ainsi 36 % plus fréquents dans les villages où le programme de réconciliation a été mis en uvre que dans les autres.

« Il faudrait que les décideurs trouvent des moyens d’atténuer les effets négatifs qui sont ravivés quand les souvenirs de guerre sont évoqués, conclut l’étude. Les effets positifs du pardon suggèrent que le besoin de réconciliation soit prolongé longtemps après la fin des violences’ Les blessures psychologiques persistent quand elles sont évoquées trop rapidement et pas suffisamment accompagnées dans le temps. »

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