Comment un petit sous-traitant a défié Volkswagen

Comment un petit sous-traitant a défié Volkswagen

C’est l’histoire de la souris qui paralyse l’éléphant, du petit qui fait trébucher le gros, de David qui défie Goliath. Un obscur équipementier d’origine bosniaque, le groupe Prevent, 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, a pendant quelques jours mis à l’arrêt la production en Allemagne du numéro deux mondial de l’automobile, 10 millions de véhicules vendus en 2015, 213 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 610 000 salariés dans le monde’

Le conflit, qui opposait depuis le 1er août deux filiales de Prevent à la firme allemande, a finalement été dénoué mardi 23 août. Au bout d’une nuit de négociations serrées un accord a été trouvé permettant une reprise progressive de la production des Golf et des Passat affectée par la querelle.

Celle-ci avait pris une dimension nationale, Volkswagen (VW) ayant annoncé lundi qu’il devait réduire le temps de travail de 28 000 salariés (10 % de ses effectifs en Allemagne) dans six usines outre-Rhin. La dernière fois que le constructeur a pris une mesure aussi spectaculaire, c’était en février 2009. La firme avait alors annoncé que 60 000 ouvriers seraient mis en chômage partiel en raison de la crise économique.

Dénonciation de plusieurs contrats

En cause, cette fois-ci, la suspension de livraison décidée le 1er août par Car Trim, un fabricant de revêtements de sièges, et ES Automobilguss, un producteur de pièces pour boîtes de vitesses. Ces deux entreprises, détenues par le groupe Prevent, disent avoir pris cette mesure drastique en réponse à la dénonciation de plusieurs contrats commerciaux par VW, sans préavis et sans compensation.

Le gouvernement allemand en avait appelé lundi à « la responsabilité » des deux parties.

Surtout, l’affaire avait pris un tour politique. Le gouvernement allemand en avait appelé lundi à « la responsabilité » des deux parties. « Il en va de milliers d’emplois », a souligné un porte-parole du ministère de l’économie.

Au siège de Wolfsburg, où est fabriquée la Golf, on comptait bien faire bénéficier le personnel en chômage technique de l’aide de l’Etat. Celle-ci permet à un salarié mis en inactivité par son entreprise, en raison de difficultés économiques graves, de recevoir une compensation pour le salaire manquant prise en charge par l’assurance chômage. Mais rien ne garantissait que la firme pourrait bénéficier de ce système, en principe réservé à des crises sévères. « Cela n’a pas été prévu pour des démêlés avec des sous-traitants », assure Karl Brenke, expert du travail à l’institut économique de Berlin (DIW), à la presse allemande.

Menace de représailles

Certains politiques du parti conservateur CDU on vu rouge. « Le chômage partiel n’est pas une caisse de grève pour les entreprises qui se trouvent en lutte économique et ne respectent délibérément pas leurs contrats », a tonné le député Karl Schiewerling. Côté salariés, le chef du puissant comité d’entreprise, Bernd Osterloh, avait lui aussi fait pression sur le groupe, le menaçant de représailles s’il venait à effectuer des licenciements économiques à cause de cette crise.

Jusqu’ici, aucun équipementier ne s’était aventuré aussi loin.

Cette nouvelle affaire VW est suivie avec attention outre-Rhin. Jusqu’ici, aucun équipementier ne s’était aventuré aussi loin, de peur de perdre un client qui est aussi premier acheteur de l’industrie automobile allemande. Prevent accuse VW de « transférer ses problèmes à ses fournisseurs », autrement dit de faire pression sur les équipementiers pour faire face aux coûts faramineux liés au scandale des moteurs truqués.

Une attaque qui laisse les principaux fournisseurs français du constructeur allemand dubitatifs. Si Faurecia, Valeo ou Plastic Omnium ne font officiellement aucune déclaration, un cadre dirigeant d’un gros équipementier hexagonal affirme en aparté « que VW n’est pas un plus mauvais client qu’un autre, même depuis le dieselgate’ ».

Prevent est aussi en conflit juridique avec Daimler

L’origine de la crise est plutôt à chercher du côté de Prevent. L’entreprise, détenue par la famille Hastor, l’une des plus riches de Bosnie-Herzégovine, est experte en montages financiers complexes et habituée aux procédures. Prevent, qui est aussi en conflit juridique avec Daimler, est engagé depuis plusieurs années dans une querelle avec VW pour une usine à Sarajevo dont il est copropriétaire. L’équipementier a agi particulièrement finement dans l’affaire actuelle : les deux sous-traitants concernés sont les seuls pour lesquels VW n’a pas de remplaçant.

Pour le consultant automobile Ferdinand Dudenhöffer, cité par le quotidien économique Handelsblatt, ce conflit inédit témoigne de la nouvelle nature des sous-traitants automobiles.

« Ce ne sont plus les gentilles PME avec tradition familiale d’autrefois mais des banquiers d’investissement malins, qui travaillent de concert avec des cabinets d’avocats internationaux. »

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