Comment Renault s’est fait rattraper par le  dieselgate 

Comment Renault s'est fait rattraper par le  dieselgate 

Une information judiciaire a été ouverte, jeudi, pour « tromperie » sur les émissions polluantes des moteurs du constructeur français.

Le Monde
| 14.01.2017 à 06h34
Mis à jour le
14.01.2017 à 08h35
|

Par Éric Béziat

Peu à peu, les épisodes s’enchaînent, dans ce qui commence à ressembler à une version française du dieselgate. Jeudi 12 janvier, le parquet de Paris a ordonné l’ouverture d’une information judiciaire contre X, pour « tromperie sur les qualités substantielles [des moteurs Renault] et les contrôles effectués », et ajoutant comme circonstance aggravante que « les faits ont eu pour conséquence de rendre la marchandise dangereuse pour la santé de l’homme ou de l’animal ».

Trois juges d’instruction du pôle santé publique du tribunal de grande instance de Paris vont donc diriger une enquête pour chercher à savoir si le constructeur automobile français a minoré les émissions des très toxiques oxydes d’azote (NOx) de ses véhicules diesel.

L’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp), rattaché à la gendarmerie et habituellement employé dans ce genre d’affaire, pourrait être chargé des investigations. « Le service qui enquêtera n’a pas encore été choisi, a toutefois indiqué au Monde une porte-parole du parquet de Paris. Ce sont les juges d’instruction, et eux seuls, qui en décideront. »

Le code de la consommation prévoit pour un éventuel délit de tromperie aggravée des peines sévères : jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende pour les responsables, et un maximum de 10 % du chiffre d’affaires à verser, soit 4,5 milliards d’euros dans le cas de Renault. On n’en est pas là. Mais une étape supplémentaire a quand même été franchie sur le chemin qui mène à une sanction de la marque au losange.

Il y a un an, presque jour pour jour, en janvier 2016, la révélation qu’une série de perquisitions avait été menée au siège social du constructeur à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), dans son centre technique de Lardy (Essonne) et au Technocentre de Guyancourt (Yvelines) avait fait l’effet d’une bombe.

Lire aussi :
 

Fiat Chrysler emporté par un nouveau dieselgate

Travail de fourmi

Quelques semaines seulement après le début du scandale Volkswagen, qui a éclaté en septembre 2015, la France apprenait que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) menait elle aussi une enquête sur le diesel, et plus particulièrement sur l’un de ses fleurons industriels. L’action Renault chutait ce jour-là de plus de 20 %.

A l’origine de ces investigations, il y a le travail de la commission d’experts indépendants mise en place en octobre 2015 par la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, après les révélations sur les logiciels de fraude de Volkswagen.

Les tests, menés sur plus de 80 véhicules, ont rapidement révélé que les Renault étaient parmi ceux qui émettaient le plus de polluants lors des essais sur route, dépassant de très loin les seuils autorisés et évalués habituellement sur banc d’essai. Les comportements étranges des moteurs n’autorisant, par exemple, la dépollution que dans des fourchettes précises de température, avaient conduit la DGCCRF, partie prenante de la commission Royal, à mener l’enquête.

La répression des fraudes, rattachée à Bercy, a donc fait son travail de fourmi, perquisitionnant, testant, évaluant, entendant cadres et dirigeants pendant dix mois. A la mi-novembre 2016, elle a jugé les faits suffisamment sérieux pour estimer devoir transmettre les résultats de son enquête au parquet de Nanterre. Celui-ci s’en est finalement dessaisi la semaine dernière au profit du parquet de Paris, afin de s’appuyer sur la compétence des magistrats spécialisés du pôle de santé publique.

Lire aussi :
 

La facture du Dieselgate s’envole pour Volkswagen aux Etats-Unis

« Pas les meilleurs de la classe »

Renault a pris acte, vendredi dans un communiqué, de l’ouverture de l’information judiciaire, en précisant toutefois ne pas en avoir eu la confirmation officielle. « Nous ignorons les détails du PV de la DGCCRF, ce qui nous est reproché », explique un cadre de Renault. La marque au losange s’est bornée à constater « le souhait du parquet de poursuivre les investigations », et a tenu à rappeler trois points « constants » de sa position.

« 1. Renault respecte la législation française et européenne. 2. Les véhicules Renault ont tous, et toujours, été homologués conformément à la loi et aux réglementations. Ils sont conformes aux normes en vigueur. 3. Les véhicules Renault ne sont pas équipés de logiciels de fraude aux dispositifs de dépollution. » Cela n’a pas empêché l’action Renault d’enregistrer la plus forte baisse de l’indice CAC 40 le 13 décembre : 2,89 %, à 83,76 euros, dans un marché en hausse de 1,20 %, perdant même, au cours de la séance, jusqu’à près de 6 %.

Le groupe français est entré désormais dans une zone d’incertitude. Il inquiète les investisseurs et paie des choix stratégiques moins-disants sur ses moteurs diesel. « Nous ne sommes pas les meilleurs de la classe », reconnaissait Thierry Bolloré, directeur délégué à la compétitivité de Renault, dans une interview au Figaro dès le mois de décembre 2015, avouant implicitement son retard sur le diesel.

Lire aussi :
 

Dieselgate : sept pays de l’UE sous pression de Bruxelles

Vent de tromperie

Pour bien comprendre, il faut savoir que trois technologies se complètent pour réduire la quantité d’oxydes d’azote émis par un moteur diesel. D’abord, la vanne EGR permet une recirculation des gaz qui diminue les NOx, mais elle a tendance à s’encrasser. Ensuite, la trappe à NOx, un premier catalyseur, piège les oxydes d’azote qui ont échappé à l’EGR. Son efficacité aléatoire est renforcée par un troisième dispositif, la SCR, qui consiste en une seconde catalyse par pulvérisation d’urée (plus connue sous son nom commercial d’AdBlue) dans le système d’échappement.

Or, Renault avait choisi jusqu’au dieselgate de se passer de la SCR, plus complexe et donc plus chère à implanter sur les véhicules. La firme s’est finalement résolue à investir dans cette technologie. Pour montrer sa bonne volonté, elle a aussi présenté en mars 2016, devant la commission Royal, un plan complet de réduction des NOx de ses véhicules diesel, jugé transparent, satisfaisant et crédible par les experts.

Ironie de l’histoire, au moment où Volkswagen semble pouvoir enfin solder la partie américaine de son gigantesque scandale, grâce un accord à 4,3 milliards de dollars sur le volet pénal de l’affaire, deux constructeurs de rang mondial ont pris le relais du dieselgate : Renault et Fiat Chrysler.

Ce dernier, sous le coup d’une enquête aux Etats-Unis, est maintenant sous pression en Europe. Vendredi 13 janvier, le ministère des transports allemands a plaidé pour que l’Union européenne demande des explications à l’Italie sur l’homologation de certaines Fiat et Jeep suspectes. Décidément, un vent de tromperie souffle sur l’industrie du diesel.

Leave A Reply