Comédiens musiciens , de l’art d’annoncer sa vocation à ses parents

Comédiens musiciens , de l'art d'annoncer sa vocation à ses parents

Avant même de convaincre producteurs et public, ceux qui choisissent une carrière loin des sentiers balisés du CDI doivent affronter le plus intraitable des critiques : leur propre famille.

Le Monde
| 02.12.2016 à 17h15
Mis à jour le
02.12.2016 à 17h54
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Par Joséphine Lebard

C’est sans doute la scène la plus triste du film, quoiqu’il s’agisse d’une comédie. Dans L’Aile ou la cuisse (1976), de Claude Zidi, un célèbre critique gastronomique (Louis de Funès) découvre de façon impromptue que son fils (Coluche) ne compte en aucun cas reprendre l’entreprise familiale mais se destine au métier de clown. « J’ai essayé de t’en parler plusieurs fois », plaide ce dernier. « Les histoires de tarte à la crème, ça les fait rire ‘ », interroge le père, dubitatif. Avant de traiter son rejeton de « raté ».

Quarante ans plus tard, le coming out artistique d’un enfant semble provoquer moins de déception chez les parents. « Nous sommes en 2016, plaide Alexis Michalik, auteur et metteur en scène du succès théâtral de la rentrée parisienne, Edmond. Aujourd’hui, c’est assez normal de voir des jeunes vouloir embrasser ces carrières. » Son père et sa mère ont ainsi très favorablement accueilli la vocation de celui qui, dès son année de terminale, a commencé à se chercher un agent. Etre de la partie facilite sans doute la compréhension de ces aspirations. « La sécurité de l’emploi, ce n’était pas ce qui comptait pour eux, l’épanouissement personnel passait avant », concède Alexis Michalik, dont le père est artiste peintre.

« J’allais finir drogué et SDF »

Jacqueline Madenian, elle, était assistante sociale. Et elle n’a pas sauté de joie quand son fils Mathieu lui a fait part de son désir de devenir comédien. Bien sûr, il y avait eu quelques indices : son travail d’animation dans des villages de vacances au cours des mois d’été, par exemple’ Il n’empêche, « j’ai eu du mal à l’entendre, admet-elle. L’univers du spectacle, c’était un monde qu’on ne connaissait pas, dans lequel nous n’avions pas de relations ». Conjointe à l’annonce de la vocation artistique, la montée à Paris peut être source d’angoisse. « Ils s’imaginaient que j’allais finir drogué, alcoolique et SDF, alors que j’aurais pu rester près d’eux, dans le Sud, avec mes amis », plaisante Mathieu Madenian. Claire Burger, elle, a choisi de quitter sa ville natale de Forbach (Moselle) et un CDI à la télévision locale pour intégrer la Fémis, une école de cinéma parisienne. La coréalisatrice de Party Girl (Caméra d’or à Cannes en 2014) admet avoir annoncé la nouvelle avec « toute la fougue de l’adolescente qui ne fait pas grand cas des peurs des autres ». Or, pour sa mère, Lisely Hückel, l’appréhension était surtout d’ordre pécuniaire. « Ma seule inquiétude, se souvient-elle, c’était de savoir comment elle allait vivre décemment et comment j’allais pouvoir la soutenir financièrement’ »

Claire Burger estime qu’il était « incompréhensible » pour son père et sa mère qu’elle quitte un CDI. En effet, l’annonce peut aussi faire resurgir certains regrets des parents par rapport à leurs propres aspirations. « Mathieu était excellent dans les études, note Jacqueline Madenian. Il avait fait un DEA et un DESS. On le sentait très bien parti’ » Même sentiment chez les parents de la comédienne Camille Chamoux, qui, après avoir effectué une hypokhâgne et deux khâgnes dans un lycée parisien coté, décide de se consacrer au théâtre. « Pour eux, je gâchais mes années d’études. Jusqu’à mes 22 ans, cela a vraiment été une question taboue. Quand je suis entrée à l’école du Théâtre du Rond-Point, ils m’ont demandé de la payer, alors qu’ils auraient pris en charge n’importe quelle autre formation’ »

Les diplômes comme protection

Pour d’autres artistes, au contraire, les études préliminaires ont permis de mieux faire passer la pilule de la vocation. Notamment auprès de parents éloignés des milieux artistiques. Normalienne, Agnès Gayraud a attendu d’obtenir l’agrégation de philosophie pour se lancer, sous le nom de La Féline, dans une carrière de musicienne pop et l’annoncer à sa famille. « Les diplômes constituaient une protection, comme pour dire à ma mère j’assure et je suis sérieuse’ », analyse-t-elle. Artiste peintre, Pascal Vilcollet a commencé par suivre une formation de dessinateur maquettiste pour se diriger ensuite vers l’Ecole professionnelle supérieure d’arts graphiques et d’architecture (Epsaa). « Si je leur avais annoncé tout de go je veux être artiste’, ils auraient paniqué. J’ai préféré prendre le problème à l’envers’ »

Qu’elle se passe bien ou pas, deux données pèsent dans la balance au moment de l’annonce : la foi que les enfants ont en leur projet’ et la confiance que leurs parents placent en eux. Quoique réservée sur les ambitions théâtrales de son fils, Jacqueline Madenian a rapidement choisi de le soutenir. « Quand il me l’a annoncé, j’ai compris que sa décision était prise. Je n’avais pas à la contester car je sentais que Mathieu était solide dans son choix. » Aujourd’hui, le comédien se partage entre les planches, la télévision et le cinéma. Pour Lisely Hückel, il importait que sa fille « vive ce pour quoi elle était faite et le mène le plus loin possible ». Quant à la question financière, elle a trouvé un moyen de la « positiver » : « Moi-même, j’ai fait des études d’arts plastiques. Je connais plutôt bien l’histoire de l’art et je sais que les difficultés de vie peuvent exacerber les capacités de création. » Quant à Agnès Gayraud, petite dernière d’une famille nombreuse, elle résume ainsi la posture de sa mère depuis qu’elle lui a appris qu’elle se lançait dans la musique : « Je ne comprends pas, mais je te fais confiance ! » De toute façon, plaisante-t-elle, « on ne fait pas du rock pour plaire à ses parents ». Camille Chamoux, elle, a mis en avant une certitude très fortement ancrée : « Je leur ai dit que c’était sur scène que je serais la meilleure, que mes capacités seraient le mieux exploitées. » Actuellement à l’affiche de plusieurs films et au théâtre avec son dernier spectacle, la comédienne conclut : « Si on a une conviction très forte, les parents suivent. Et le reste du monde aussi. »

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