#CeuxQuiFont Dans la Haute-Vienne un village ressuscité par sa maire

#CeuxQuiFont Dans la Haute-Vienne un village ressuscité par sa maire
Christine de Neuville, maire de Vicq-sur-Breuilh (Haute-Vienne), a redynamisé ce petit village limousin qui était menacé d’abandon.

Sur le mur, le portrait jauni de Charles de Gaulle contemple celui de René Coty, au milieu d’un modeste bric-à-brac. A Vicq-sur-Breuilh, village limousin de 1 350 âmes, madame la maire a laissé telle quelle la décoration léguée par ses prédécesseurs, « deux vieux messieurs qui se partageaient le pouvoir depuis des décennies », au gré d’une alternance régulière entre la gauche et la droite.

En guise de touche personnelle, Christine de Neuville a punaisé la photo d’un grand bateau piégé par les glaces polaires. Cette « immobilité silencieuse » lui plaît. « Parfois, il faut ça avant de reprendre son chemin », dit-elle. Son visage est nu et souriant. Face à elle, des rideaux fatigués en velours rouge encadrent la fenêtre, ouvrant sur un paysage de bocages.

Christine de Neuville, 58 ans, est née ici, dans ce bourg rural qui voyait fuir ses habitants, obligés d’aller jusqu’à Limoges, à près d’une demi-heure de route, pour trouver les commerces et les structures qui avaient disparu. « Ils vivaient comme sur une île au milieu de l’Atlantique », résume-t-elle.

« Le bourg était en train de mourir »

Elle n’avait jamais imaginé faire de la politique. C’est arrivé par agacements successifs. « Je suis devenue maire par exaspération », lance-t-elle. A la naissance de sa fille, cette spécialiste de la filière caprine, qui gérait des propriétés agricoles, demande au maire de créer un emploi pour faire garder les enfants du village le mercredi. Fin de non-recevoir. « Il m’a littéralement renvoyée dans mes foyers, me suggérant d’arrêter mon travail. Il n’y avait rien pour les enfants sur la commune. J’ai pris conscience qu’il était en décalage complet avec la nouvelle population néorurale. »

En 1989, les élections municipales se profilent. Son voisin agriculteur, candidat sur une liste, lui lance : « Viens, tu peux être utile. » « Utile », le mot fait tilt. « Ça a résonné en moi. Sans doute à cause de mon éducation judéo-chrétienne », raconte-t-elle, amusée. Dans la famille de Neuville, aristocrate et catholique, l’altruisme est érigé en vertu cardinale. « Mes parents m’ont donné le sens de l’engagement et du devoir : on fait pour les autres et avec les autres. » Christine de Neuville est élue à deux reprises comme conseillère municipale. Mais elle reste pieds et poings liés. « J’essayais de lancer des initiatives, mais ce n’était jamais possible. On me disait que je n’avais qu’à aller à la ville. Le bourg était en train de mourir. »

En 2001, la décision du vieux maire de se présenter une énième fois, contrairement à ce qu’il avait promis, sonne le tocsin. Christine de Neuville s’en lamente auprès de sa voisine, qui l’interpelle : « Pourquoi tu n’y vas pas, toi ‘ »

« Une trop faible faculté à avaler des couleuvres »

Mère de quatre enfants, elle vient alors d’achever sa reconversion comme professeur et s’apprête à passer l’agrégation. L’idée, qui ne l’avait pas effleurée, a soudain la force de l’évidence. Elle se présente sans étiquette face aux deux « brontosaures » et remporte le scrutin, devenant la première femme de l’histoire à la tête de Vicq-sur-Breuilh.

Comme tant de politiques, cette maire rurale,également enseignante d’histoire-géographie,défend une conception du pouvoir comme outil au service de l’intérêt général. A la voir et à l’écouter, on la croit, elle, profondément sincère. « Centriste européenne », elle se ditallergique à la discipline de parti et refuse d’appartenir à l’un d’eux : « J’ai une trop faible faculté à avaler des couleuvres. »

Celle qui s’agace de recevoir des courriers du notaire du coin adressés à « monsieur le maire » en est aujourd’hui à son troisième mandat. Elle a fait de la redynamisation du bourg sa priorité.« On a ajouté un fournil à l’ancienne boulangerie, et complètement créé deux autres commerces [une épicerie et un restaurant] dans des locaux qui appartenaient à la mairie. C’était un risque énorme de venir s’installer, donc j’ai fourni les commerces clés en main », pour trouver preneur plus facilement.

« Le sentiment d’avoir joué mon rôle »

Christine de Neuville a trié et reçu elle-même les candidats : « Je n’avais pas le droit à l’erreur. » Si ces commerces fermaient, c’est tout son fragile édifice qui s’écroulerait. « Parfois, c’est lourd de porter tout cela à bout de bras. Je me sens responsable. » Elle surveille de près leur activité. A l’épicier, elle rapporte la remarque d’un client polonais, qui conseillait de changer de marque de vodka pour en vendre plus. Au restaurateur, elle demande si les affaires vont bien. « Ce n’est pas toujours simple, mais il veut me racheter le restaurant, c’est bon signe. »

L’une de ses grandes fiertés reste d’avoir créé une crèche, ouverte aux communes voisines. « Faire vivre le monde rural passe par les enfants. Or, j’avais une déperdition entre ceux qui naissaient à Vicq, et ceux qui y étaient scolarisés. »

La maire a aussi fait aménager des places fleuries dans le bourg « pour que ce soit joli et que les commerces aient envie de s’installer ». Un musée d’art naïf et d’art brut a même ouvert ses portes dans le vieux presbytère, attirant 10 000 visiteurs par an. En 2012, une Marianne d’or est venue récompenser l’engagement de Christine de Neuville pour le monde rural.

« Il faut fleurir là où on est planté, glisse-t-elle, sans se souvenir que la formule est de Saint-François de Sales. Moi, je suis plantée là. Je suis ministre de rien, c’est un petit territoire, mais j’ai le sentiment d’avoir joué mon rôle là où j’étais. » Elle mentionne Pierre Rabhi, dont son fils est devenu proche. « Vous connaissez l’histoire du colibri ‘ Eh bien voilà, j’ai fait ma part. »

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