Bricolage et bureaucratie , comment l’Etat islamique transforme les drones en armes

Bricolage et bureaucratie , comment l'Etat islamique transforme les drones en armes

Des documents retrouvés à Mossoul permettent de mieux comprendre comment les djihadistes utilisent, conçoivent et espèrent faire évoluer les capacités militaires des drones.

Le Monde
| 02.02.2017 à 15h27
Mis à jour le
02.02.2017 à 16h07
|

Par Luc Vinogradoff

Des documents manuscrits découverts dans un quartier de Mossoul en janvier ont permis à des chercheurs de mieux comprendre comment l’organisation Etat islamique (EI) utilise et perfectionne une arme de moins en moins inédite sur les champs de bataille : les drones.

Selon le Combating Terrorism Center (CTC) et le New York Times, les documents ont été découverts en janvier par la chercheuse Vera Mironova, « embeddée avec l’armée irakienne » qui progressait dans les quartiers est de Mossoul. Deux chercheurs du CTC, un organisme habitué à vérifier la fiabilité du matériel découvert en zone de guerre, ont pu authentifier la vingtaine de pages manuscrites et de documents officiels, en anglais et arabe :

« Ils nous permettent de voir comment l’EI a essayé de bricoler, développer et améliorer sa capacité à utiliser des drones ainsi que son programme de fabrication de drones. »

Comme ils datent de 2015, le CTC écrit « qu’il est très probable que ces documents ne représentent qu’une petite fraction de matériel interne à l’EI à ce sujet ». Même sans être exhaustifs, ils permettent de mieux comprendre comment les djihadistes utilisent, conçoivent et espèrent faire évoluer les capacités militaires de ces petites machines téléguidées.

Comment et depuis quand l’EI utilise des drones ‘

L’intérêt de l’EI pour les drones remonte « au moins à 2013 », dit le CTC, en s’appuyant sur d’autres documents retrouvés, comme à Mossoul, dans des territoires reconquis. Les premiers objectifs étaient des missions de reconnaissance. Les documents retrouvés en 2017 montrent que dès 2015 « ils avaient une unité propre consacrée aux drones » et « pensaient déjà les utiliser comme des armes ».

Les premières victimes d’un drone djihadiste remontent au 2 octobre 2016. Ce n’était pas un bombardement, mais un subterfuge. Un drone est tombé près de militaires kurdes qui l’ont ramassé, sans savoir qu’il contenait une bombe. L’explosion a tué deux d’entre eux et blessé deux militaires français.

Depuis octobre, les attaques par drone, notamment des quadrirotors pouvant faire du surplace, ont drastiquement augmenté contre les militaires irakiens engagés sur le front de Mossoul. Un porte-parole de l’armée américaine parle d’au moins 80 attaques de ce type « avec un tiers des drones qui lâchaient des bombes où étaient modifiés pour exploser au sol ». L’armée irakienne recense plus d’une dizaine de morts et une cinquantaine de blessés dans ces attaques. Les drones sont si présents dans le ciel de la bataille de Mossoul ceux de l’EI, ceux des Irakiens, des milices et des journalistes « qu’il y a un bourdonnement permanent », raconte le photographe envoyé spécial du Monde, Laurent Van der Stockt.

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Un maillon bureaucratique comme un autre

Que nous apprennent ces nouveaux documents internes de l’EI ‘ D’abord, et ce n’est pas une surprise pour ceux qui s’intéressent un peu à la structure du groupe, que l’utilisation des drones s’appuie sur une bureaucratie très développée. L’unité de drones dépend ainsi d’une brigade, qui elle-même dépend du Comité de production et développement militaire.

L’utilisation de drones sur le champ de bataille est extrêmement encadrée, décrit le CTC. La plupart des documents retrouvés sont des formulaires standardisés. Les djihadistes qui ont utilisé un drone doivent remplir et cocher des cases dans une sorte de bilan d’opération militaire : but, lieu, réussite. Exemple :

dans la sous-section « Mission », ils doivent préciser s’il s’agissait d’« espionnage », d’« entraînement » ou de « bombardement » ;une checklist aide les djihadistes à faire des inspections matérielles pré et post-missions, pour s’assurer que le drone fonctionne bien ;dans la sous-section « Bilan », sous les cases « Réussite » ou « Echec », les pilotes peuvent laisser d’éventuelles remarques.

Greg Robin, de l’organisation Sahan, qui traque l’utilisation et la provenance d’armes dans les conflits, avait confié au Monde des remarques similaires sur l’utilisation des drones par les djihadistes de l’EI :

« La production est centralisée, avec une chaîne logistique bien étudiée. Dès qu’ils prennent une ville, ils investissent les ateliers, avec leurs employés, appuyés si nécessaire par des esclaves, pour former des dispositifs à la chaîne. C’est basique, très bien étudié, c’est une forme de taylorisation. »

Des améliorations « Do It Yourself »

Certaines des pages de ce mini-trésor bureaucratique sont des « archives d’acquisitions, essentiellement des listes de courses pour les technologies que l’Etat islamique veut acheter », écrit le CTC. Les unités de l’EI cherchent à la fois à perfectionner les aspects militaires des drones et à les sécuriser en les modifiant. On pourrait facilement appeler ça un tuning de drones « Do It Yourself » :

il peut s’agir de hardware des caméras GoPro pour filmer, des GPS pour localiser, des cartes mémoires, des hélices supplémentaires pour les drones de type Skywalker X-8 ou quadrirotor ;ou de software, comme des programmes de chiffrage pour « protéger la transmission vidéo depuis les drones ».

Les chercheurs ne savent pas où les djihadistes sont allés faire leurs courses. Les reçus retrouvés indiquent « qu’il est possible que l’Etat islamique ait acquis une partie de l’équipement directement en ligne, probablement via des relais dans des pays hors de la région, et donc potentiellement sur des sites de ventes grand public ».

Après avoir analysé des documents découverts par hasard, les chercheurs du CTC s’attendent à ce que l’EI « affine ses capacités de bombardement à court terme. (‘) Il est très probable que cette tactique devienne non seulement plus fréquente, mais plus meurtrière. » Ce qui se vérifie déjà sur le champ de bataille de Mossoul. L’agence américaine qui gère les systèmes explosifs, la Joint Improvised-Threat Defeat Organization, a demandé une rallonge de 20 millions de dollars au Congrès, rapporte le New York Times, pour « étudier des façons de repousser des drones hostiles », pour le bénéfice de ses soldats mais surtout pour celui des Irakiens et des Kurdes qui combattent avec des appareils explosifs téléguidés au-dessus de leurs têtes.

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