Breitbart un média pro-Trump et ultra engagé

Breitbart un média pro-Trump et ultra engagé

Le site américain a fait corps avec Donald Trump contre « l’establishment » des médias mais s’est toujours défendu de diffuser des « fake news ».

Le Monde
| 02.02.2017 à 14h53
Mis à jour le
02.02.2017 à 15h48
|

Par Alexandre Piquard

Breitbart News… Ce site est celui qui a le plus gagné en notoriété pendant la campagne présidentielle américaine. Totalement inconnu au-delà du milieu conservateur américain, avant la campagne, il est progressivement devenu le pendant médiatique de Donald Trump, les deux partageant un style ultra-combatif, provocant et droitier. Dans un scrutin marqué par le débat de la « post-vérité », « Breitbart » a souvent été pointé du doigt par les opposants à Donald Trump et accusé de propager des « fake news ». Le site s’en est toujours défendu et il ne fait pas partie des médias qui produisent des fausses informations de façon organisée et répétée. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir une ligne éditoriale militante et de présenter parfois les faits de façon très orientée.

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L’église « en feu » de Dortmund

« Révélation : une foule de 1 000 personnes attaque la police et met le feu à la plus vieille église d’Allemagne le soir du Nouvel An. » Ce titre publié par Breitbart le 3 janvier a fait couler beaucoup d’encre. Le site affirmait d’emblée : « Lors des célébrations du Nouvel An à Dortmund, une foule de plus de 1 000 personnes a chanté Allah Akhbar’, lancé des feux d’artifice sur la police et mis le feu à une église historique. » En Allemagne, les réactions médiatiques et politiques ont été très vives : la police de la ville a rappelé que ce réveillon n’avait pas occasionné d’incidents « extraordinaires » et un journal local a accusé Breitbart d’avoir tordu ses informations afin de produire « des fake news, de la haine et de la propagande », comme l’a rapporté le Guardian.

Dans le détail, il y avait bien sur place environ 1 000 personnes, certaines ont bien chanté « Allah Akhbar » en célébration du cessez-le-feu en Syrie, beaucoup de feux d’artifice ont été lancés et l’un d’eux a déclenché un feu léger sur un échafaudage posé contre une église, pendant douze minutes, avant que les pompiers ne l’éteignent, explique le Guardian. Ce qui fait dire à Breitbart qu’il n’a rien publié de faux, « si ce n’est le fait que l’église n’est pas la plus vieille d’Allemagne ». Mais l’article, partagé 17 000 fois sur Facebook, n’en a pas moins cherché à insinuer qu’une foule d’islamistes radicaux avaient délibérément mis le feu à une église chrétienne en plein centre d’une ville d’Allemagne. Une affirmation très exagérée mais qui correspond bien à la ligne droitière du site, adepte de la théorie du choc des civilisations.

Carte trompeuse et lieu de naissance d’Obama

Dans un autre cas, Breitbart s’est à juste titre vu reprocher de propager des mensonges : peu après l’élection de Donald Trump, le site a publié un article assurant que « le vote Donald Trump était une raz-de-marée dans le c’ur du pays ». C’était une tentative de riposte politique pour faire oublier que Hillary Clinton a attiré plus de votes que son rival, malgré sa défaite dans le scrutin. Selon Breitbart, si l’on ne compte pas les votes de 57 comtés urbains très peuplés qui ont massivement choisi Clinton, Donald Trump a gagné dans le reste des circonscriptions, donc dans l’Amérique « profonde ». Au-delà de ce raisonnement, discutable en soi, le site a diffusé une carte qui était fausse, comme l’ont relevé Vice ou le Washington Post : quasiment toute rouge (la couleur du vote Trump), elle ne faisait pas apparaitre de nombreux comtés « bleus ». Toutefois, une fois pointée du doigt, la rédaction de Breitbart a fait amende honorable et corrigé la carte, assurant être attachée à la fiabilité journalistique de ses informations.

Breitbart s’est également fait attaquer par une animatrice de la chaine météo The Weather Channel qui estimait qu’une de ses vidéos avait été utilisée à mauvais escient, dans le but de remettre en cause les effets du réchauffement climatique. Dans un autre cas, le site a fait une présentation jugée trompeuse d’une polémique autour d’une pièce de théâtre chrétienne prévue dans une école américaine à Noël : l’annulation du spectacle était, selon Breitbart et Fox News, liée à la plainte de parents d’une famille juive ayant réclamé une dispense de participation pour leur enfant. Les deux faits étaient exacts mais pas le lien de causalité, ont argué des sources locales citées par Slate, selon lesquelles la décision était notamment liée à la lourdeur du temps de préparation de la pièce, une raison toutefois évoquée dans l’article de Breitbart News.

Enfin, on a reproché à Breitbart News d’avoir publié une vieille notice biographique de Barack Obama mentionnant le Kenya comme lieu de naissance. Mais le site s’est alors défendu d’avoir jamais fait partie des « birthers », ces partisans d’une des théories conspirationnistes les plus célèbres de la campagne, selon laquelle l’ancien président serait né à l’étranger.

Des journalistes engagés comme conseillers politiques

Si Breitbart n’est pas un diffuseur de faux contenus comme certaines pages Facebook actives pendant la campagne américaine, il a une approche très militante. D’ailleurs, dans les deux pays où il est actif, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, un de ses dirigeants a rejoint l’équipe d’un candidat. Stephen Bannon, le directeur de Breitbart, est devenu le directeur de campagne de Donald Trump en août 2016 sachant qu’un an plus tôt, il se vantait déjà en privé d’assurer cette fonction, comme l’a révélé le site Daily Beast. D’ailleurs, le soutien trop marqué de Breitbart News à Trump, notamment ses positions trop extrêmes sur l’immigration, ont fait fuir certains membres de l’équipe de Trump.

Nommé après la victoire au poste de conseiller stratégique du président, M. Bannon n’a cessé d’affermir son pouvoir à la Maison Blanche, obtenant ainsi le 28 janvier le droit de siéger officiellement au Conseil de sécurité national, une décision sans précédent. Une journaliste du site, Julia Hahn, l’a également rejoint.

Au Royaume-Uni, le redacteur en chef du site, Raheem Kassam, s’est engagé pendant plusieurs mois comme proche conseiller de Nigel Farage, le chef du parti europhobe et anti-immigration UKIP, mais aussi l’une des figures du « non » au référendum sur la place du pays dans l’Union européenne.

Provocation et « trolling »

Outre le pilonnage systématique de ses opposants politiques, comme Hillary Clinton, Breitbart développe une culture assez trash et provocatrice, proche de celle des tabloïds du groupe Murdoch. Il ne rechigne pas à s’entourer d’une part de mystère, à l’image de Stephen Bannon, qui a pu citer comme références tout aussi bien Dark Vador et Satan que le vice-président américain Dick Cheney à moitié sur le ton de la plaisanterie.

Une des figures du site, Milo Yiannopoulos, un ancien blogueur narcissique et looké, a une approche éditoriale mêlant « divertissement » et provocation. C’est un expert du « trolling », capable par exemple de dire que « derrière chaque blague raciste, il y a une vérité scientifique ». Dans son attitude, on ne distingue plus l’ironie du racisme, déplore une source à Bloomberg News, parlant de technique du « nez rouge qu’on met puis qu’on enlève ».

L’arrivée en France annoncée mais pas encore datée

Dans le débat brûlant autour des « fake news », Breitbart se retrouve souvent en première ligne aux côtés de Donald Trump. Non sans brouiller les pistes, le site proclame d’ailleurs, comme le nouveau président, que « les fake news, ce sont les autres ». Breitbart a par exemple pourfendu les « mensonges » des grands médias pendant les premiers jours de la présidence, concernant le nombre de spectateurs réellement présents à l’investiture de Donald Trump, ou des tensions avec les services de renseignement. « Les médias sont le parti d’opposition (…) Les médias n’ont aucune intégrité, zéro intelligence et ne travaillent pas assez dur », a récemment attaqué Stephen Bannon. Quelques jours plus tôt, Donald Trump avait classé les journalistes « parmi les personnes les plus malhonnêtes de la planète ».

Plus sûr de sa force que jamais, le phénomène Breitbart News va-t-il arriver en France C’est ce qu’ont annoncé ses dirigeants, dans plusieurs déclarations faites entre l’été et l’automne, dans lesquelles ils visaient aussi l’Allemagne. Après l’élection de Donald Trump et le Brexit, la perspective de la présidentielle française était une occasion de se lancer pour soutenir les mouvements populistes et conservateurs dans lesquels Breitbart et Stephen Bannon voient des similitudes politiques, par-delà les frontières. Selon nos informations, des contacts ont effectivement été pris par le site avec des journalistes français dans l’idée de monter une petite équipe locale mais pour autant, fin janvier, le lancement ne semblait pas imminent.

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