Aventure , dans les traces des mushers de la Grande Odyssée

Aventure , dans les traces des mushers de la Grande Odyssée

Une vingtaine de concurrents et leurs chiens participent jusqu’au 18 janvier à la plus exigeante des courses à étapes longue distance de traîneaux, à travers les deux départements de la Savoie.

Le Monde
| 13.01.2017 à 16h21
Mis à jour le
18.01.2017 à 15h44
|

Par Catherine Pacary

Il y a ceux qui viennent à la Grande Odyssée Savoie Mont-Blanc « pour passer des bons moments » et ceux qui viennent « pour en chier ». Des visions contradictoires qui se retrouvent pourtant lors de cette course de traîneaux à chiens entre Savoie et Haute-Savoie, du 7 au 18 janvier 2017.

Une vingtaine de mushers (ceux qui pilotent l’attelage) sont engagés pour cette 13e édition : parmi eux, douze sur la Grande Odyssée de dix étapes, soit 600 km et 20 000 m de dénivelé cumulé, et dix en Mid-Distance, course réduite de 400 km et 5 400 m de dénivelé.

Nouveau venu dans l’élite et plus jeune des Français, Cédric Lemoine, 28 ans, tient le discours bravache de ses ambitions. C’est lui qui est venu « pour en chier » et se frotter au parcours « très technique » de la Grande Odyssée. « Plus c’est dur, plus je suis content », lance-t-il quelques heures avant le départ de la 2e étape, lundi 9 janvier aux Gets, un peu déçu que le tracé ait été raccourci. Cette étape, prévue sur 62 km, a été ramenée à quatre boucles de 6 km, faute de neige, mais avec le même dénivelé.

Vainqueur de l’épreuve en 2016, Rémy Coste apparaît dans les mêmes dispositions. Sur le parking des mushers installé près du front de neige, devant son bus aménagé pour accueillir ses vingt chiens et son équipe, il assume son statut de favori. Les autres concurrents, suisses, slovaques, suédois, américains, tchèques’ ont installé des box sur des pick-up ou ont bricolé une remorque. Parmi eux, Henri Yohann juge les conditions difficiles cette année. Le manque de neige, il connaît, puisqu’il habite en Seine-Maritime, où il entraîne ses vingt-deux chiens à tirer son quad.

300 chiens en compétition

Non loin, une jeune fille au sourire timide, Cindy Duport, 22 ans, cache déjà un petit palmarès : 8e aux championnats du monde mi-distance de Todtmoos 2015, 2e aux championnats de France sprint 2016. Inscrite sur la Mid-Distance, celle qui a débuté en canicross à 6 ans réalise aujourd’hui son rêve, avant de passer musher professionnelle en octobre.

Au total, quelque 300 chiens sont attachés à leur van, à leur harnais, ou encore dans leur box. Tous aboient, trépignent. Affûtés, ces athlètes à quatre pattes sont entraînés et nourris spécifiquement tout au long de l’année. Les mythiques huskys aux yeux bleus laissent progressivement la place à des alaskans, chiens de course mêlés, « tout sauf un pure race », explique un « handler », l’assistant musher qui s’occupe de la meute.

Un homme grand, brun, approche à longues enjambées. C’est Henry Kam, créateur de la Grande Odyssée Savoie Mont-Blanc en 2005 avec l’aventurier Nicolas Vanier. Il vient pour le brief. « Renato, Andreas, Magali, Martin, Daniel ! », pour Daniel Juillaguet, 49 ans, seul musher a avoir couru et terminé toutes les éditions depuis l’origine. « Hier, des mushers se sont perdus », rappelle Henry Kam. « Faites confiance au balisage. »

Quand on lui demande comment il gère le manque de neige, il trouve la question réductrice. Avant d’expliquer. Chaque début de saison, l’équipe élabore un tracé idéal, de onze étapes de 60 à 80 km chacune. Puis il l’adapte, au fil des mois, aux différentes contraintes. Seule l’influence d’Henry Kam, personnalité locale, permet à la Grande Odyssée d’emprunter des pistes de ski d’où l’horaire tardif des courses, après le départ des skieurs, et le calendrier hors vacances scolaires.

Deux semaines avant le jour J, un bilan neige est effectué. Depuis la création, seule l’édition de 2007 n’a pas pu être courue en totalité. « L’annulation n’est pas une option. Tous le savent. Il y a trop d’enjeux. » Chaque édition, c’est 1 300 partenaires, 700 bénévoles, 1 400 invités, pour un coût frôlant le million d’euros, financé par les villes étapes (24 000 euros chacune), le conseil régional et Savoie Mont-Blanc Tourisme. Pour ce prix, « nous sommes les principaux ambassadeurs de la montagne. On montre de belles images ». Retransmises par TF1, France 2, France 3 Dauphiné, BFM-TV et LCI.

« Une course unique »

« C’est vachement positif, cela fait du bien », enchaîne Hervé Flandrin, ancien membre de l’équipe de France de biathlon, médaille de bronze à Lillehammer en 1994, aujourd’hui chargé des événements pour Savoie Mont-Blanc Tourisme. « C’est une course unique, qui réunit l’activité sportive, les chiens, la nature, le public au-delà des mordus de ski », une clientèle ciblée. En sportif de haut niveau, il évalue l’engagement des mushers, leur « culture de vie, entièrement organisée autour de leurs chiens ».

Sur le front de neige, l’ambiance monte à une demi-heure du départ. Un « Indien » local installe ses chiens sur de la paille devant un tipi. Les enfants pourront les caresser. Les stands de vin chaud poussent les feux des braseros. Le présentateur officiel, Daniel Gaïnetdinoff, saisit son micro. Il ne le lâchera plus jusqu’à l’arrivée du dernier concurrent, « parce qu’il doit être acclamé comme le premier ». Durant cinq heures, il va « cueillir » son auditoire, capter un regard, porter son public à bout de voix.

17 h 15, c’est le départ. Dans le crépuscule, les chiens partent à l’assaut de la piste bleue. Chiens et humains gèrent l’effort intense, les mushers courant derrière les traîneaux. C’est la grande spécificité de l’Odyssée, ils ne peuvent pas se laisser tirer comme dans les longs raids aplanis du Canada ou du nord-européen.

Maîtrise de l’attelage

En quelques minutes, la frontière invisible entre deux mondes est franchie. « En bas c’est du spectacle, en haut c’est l’épreuve », avait prévenu Henry Kam, qui suit la course en motoneige. La rudesse, la nature, les grandes étendues, l’horizon arc-en-ciel qui émerge du brouillard.

« La grande Odyssée Savoie Mont-Blanc est la course au monde où la participation physique est la plus importante, tant pour les chiens que pour les mushers. »

Un attelage s’arrête dans la nuit, à mi-pente. Une voix féminine s’élève. « Vous êtes paresseux les chiens ! » Après trente secondes et quelques mots d’encouragement, les alaskans repartent en jappant.

« Au-delà du physique, le mental est très important, décrypte Thibaut Branquart, chef pisteur et directeur sportif de la course. Les chiens doivent avoir confiance en leur musher. Sinon, ils iront naturellement vers la facilité. Hier, un musher a chuté parce que ses chiens avaient fait demi-tour. »

A la troisième boucle, les organismes fatiguent, la concentration faiblit. En descente, un attelage s’emmêle. A la lumière de sa lampe frontale, un concurrent remet ses chiens en ordre dans les gémissements. La motoneige de Philippe-Fabien Désigaud le suit, à distance. A 72 ans, il dirige l’armada motorisée pour la commune des Gets. « Un concurrent a pris le mauvais embranchement. » Ses informations sont enregistrées au PC course.

Les traîneaux se croisent pour une dernière boucle. Avant l’ultime descente, raide, vers l’arrivée. Daniel les fait applaudir. Il faut leur donner du courage. Le lendemain, l’étape inaugure une « montée sèche » de 6 km et 1 000 mètres de dénivelés, d’un seul trait.

Odyssée des Enfants

Entre-temps, sur l’autre versant, la 6eOdyssée des Enfants prend ses quartiers à Praz de Lys. Créée par Laurence Girard, de l’office de tourisme, cette course regroupe seize élèves de 4e et 3e du collège Jacques-Brel de Taninges. Alexandre, 14 ans, a été l’un des premiers à s’inscrire, « par amour des animaux ». A quelques minutes du départ, le stress monte, la peur de se renverser dans un virage, de « tomber devant tout le monde ». L’Indien local et ses chiens à caresser ont pris position en bord de piste. L’organisation carrée des Gets laisse place aux batailles de boule de neige et aux rires. D’autant qu’il tombe de gros flocons.

Les attelages des ados, réduits à trois chiens, partent en trois vagues sous les hourras. Comme leurs aînés, les jeunes mushers courent derrière le traîneau. « Avancez les chiens », lancent de petites voix. Une minute après le dernier départ, un attelage est récupéré seul, sans sa jeune musher, Manon, tombée en contrebas. Il lui faudra de longues minutes pour rejoindre sa mini-meute et franchir, en héroïne, la ligne d’arrivée sous les ovations.

« Ce sont des instants comme ceux-là qui font que je continue », glisse Henry Kam. « Vous avez peut-être senti l’émotion dans ma voix, s’excuse Daniel Gaïnetdinoff. Les yeux qui brillent des enfants me touchent à chaque fois. » Lui aussi émeut. Repéré par Nicolas Vanier, il a tourné dans la suite du film Belle et Sébastien, une autre histoire de chien et d’enfant, dans laquelle il a un petit rôle’ muet. Un comble pour un speaker.

Leave A Reply