Aux Etats-Unis mobilisation politique contre le nombre record d’overdoses liées aux antidouleurs

Aux Etats-Unis mobilisation politique contre le nombre record d'overdoses liées aux antidouleurs

Le Monde
| 27.05.2016 à 06h48
Mis à jour le
27.05.2016 à 07h09
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Par Stéphanie Le Bars (Washington, correspondance)

Une fois n’est pas coutume dans la vie politique américaine, le sujet met démocrates et républicains d’accord. L’hécatombe due aux overdoses liées à la consommation d’opioïdes mobilise les responsables politiques de tous bords. Des textes de lois ont été adoptés en avril et en mai par le Sénat et la chambre des représentants, pour tenter d’en venir à bout. La guerre est donc déclarée. Reste à harmoniser les mesures, et surtout, à les financer, avant leur prochain examen par le Congrès, et leur adoption définitive.

Qu’il s’agisse des addictions à l’héroïne ou aux médicaments antidouleur, le mal ne cesse de s’aggraver. En 2014, quelque 10 500 personnes ont succombé à une surdose d’héroïne, selon une étude des Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC). Plus préoccupant encore, dans le même temps, 19 000 personnes sont mortes d’une prise non maîtrisée d’antidouleurs puissants. Soit une cinquantaine de personnes par jour à travers le pays. Le 21 avril, la mort du chanteur Prince, vraisemblablement due à une surdose de médicaments antidouleur, est venue s’ajouter à ce macabre décompte.

Une prise de conscience accrue

Selon des chiffres officiels, 1,9 million d’Américains sont aujourd’hui dépendants aux traitements antidouleur, délivrés en toute légalité par des médecins, tandis que 580 000 personnes le seraient à l’héroïne. Ce chiffre est en constante augmentation, en partie parce que les personnes dépendantes aux antidouleurs se tournent régulièrement vers l’héroïne, réputée moins chère et plus facile à se procurer. Des études ont montré que quatre consommateurs d’héroïne sur cinq sont devenus dépendants, après avoir d’abord pris des traitements antidouleur.

« Un problème de santé publique », pas « un problème criminel » Barack Obama, fin mars

En annonçant, fin mars, sa volonté de consacrer un milliard de dollars à la lutte contre ce fléau dans le budget 2017, le président Barack Obama a insisté sur la nécessité de le considérer comme « un problème de santé publique », et non comme « un problème criminel », comme cela a pu être le cas lors d’épidémies précédentes, notamment celle liée au crack, qui touchait majoritairement des populations noires et hispaniques défavorisées. Cette fois, le phénomène frappe tous les milieux sociaux, toutes les communautés ethniques, tous les Etats, et il a même révélé une surmortalité chez les femmes, blanches et en milieu rural.

Dans ce contexte, les initiatives législatives soutenues par les élus des deux camps tendent aussi à montrer que la prévention et le soin ont pris le pas sur la répression. Il faut dire que la publicité donnée à ces addictions par plusieurs personnalités politiques a favorisé la prise de conscience. Ces derniers mois, d’ex-candidats à la primaire républicaine, Ted Cruz, Jeb Bush ou Carly Fiorina ont témoigné du décès d’un de leurs proches sous l’emprise de drogues ou de médicaments.

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Un véritable changement de culture

Le programme, que le président américain souhaite voir mis en uvre sur deux ans, consisterait notamment à faciliter la prescription de buprénorphine, un médicament qui diminue l’effet de manque aux opioïdes, en autorisant les médecins à prescrire ce type de traitement à davantage de patients. Les formations au traitement de la douleur devraient aussi être développées dans les écoles de médecine. Un accès plus large au naloxone, un médicament qui agit comme un antidote aux overdoses, devrait être encouragé.

Ces recommandations rejoignent celles de textes qui doivent encore être discutés au Congrès. Ces derniers prévoient en outre de multiplier le nombre de places dans les centres de désintoxication, et une meilleure prise en charge financière des patients éligibles aux traitements antidouleur.

Au niveau des Etats, certaines mesures ont déjà été prises, notamment sur le suivi des prescriptions, afin qu’un patient ne puisse pas multiplier les ordonnances. Il y a quelques semaines, l’Etat de New York est devenu le premier à exiger des médecins qu’ils envoient leurs prescriptions aux pharmacies par voie électronique, afin d’éviter les fausses ordonnances.

Les pratiques médicales sont par ailleurs pointées du doigt par les autorités. Selon des données collectées par les CDC, il apparaît qu’en 2012, médecins et dentistes ont prescrit 259 millions d’ordonnances pour des antidouleurs. Accompagnant l’offensive nationale actuelle, les CDC ont publié en mars un guide de bonne conduite pour les professionnels de santé, leur recommandant de ne délivrer des opioïdes que dans les cas les plus graves (cancers, soins palliatifs’). Un véritable changement de culture, suggéré par M. Obama lui-même, qui a regretté que l’« on vive dans une société qui prescrit beaucoup de médicaments et où l’on pratique beaucoup l’automédication pour résoudre de nombreux problèmes ».

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