Au Brésil  le ministère de la culture a une portée symbolique et une valeur polémique 

Au Brésil  le ministère de la culture a une portée symbolique et une valeur polémique 

Le Monde
| 14.05.2016 à 05h38
Mis à jour le
14.05.2016 à 09h51
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Par Paulo A. Paranagua (Rio de Janeiro, envoyé spécial)

Le président intérimaire du Brésil, Michel Temer, a provoqué un tollé parmi les intellectuels, vendredi 13 mai, avec la fusion des ministères de l’éducation et de la culture. « Un recul », pour le cinéaste Carlos Diegues. Ce portefeuille avait été créé à la fin de la dictature militaire (1964-1985) par l’ancien président José Sarney, écrivain et académicien. Le seul qui avait osé le supprimer fut l’ultralibéral Fernando Collor de Mello (1990-1992), premier chef d’Etat à avoir fait l’objet d’une procédure d’impeachment (destitution).

Nelson Pereira dos Santos, le père du « Cinéma Novo » des années 1960, déplore cette fusion : « Aussi bien l’éducation nationale que la culture sont malmenées au Brésil et ne disposent pas des ressources nécessaires. » Selon le réalisateur, qui a fait entrer le cinéma à l’Académie brésilienne de lettres, « Sarney a créé un ministère de la culture pour l’ostentation, pour faire semblant que l’Etat s’intéresse à la culture, sans se soucier des résultats ».

Certains titulaires du portefeuille ont été des personnalités, comme l’économiste Celso Furtado, le sociologue Francisco Weffort ou le charismatique musicien Gilberto Gil, nommé par l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010). Aucun d’entre eux n’a laissé son empreinte sur la culture comme le diplomate Sergio Paulo Rouanet, qui a impulsé la loi portant son nom, pour attirer l’investissement privé en échange de déductions d’impôts.

« La loi Rouanet de 1991 a été très positive, même si ce n’est pas la solution idéale », souligne Nelson Pereira dos Santos. Le ministre sortant, Juca Ferreira, déplorait que ce dispositif laisse la décision de juger les projets entre les mains des responsables de marketing des entreprises. Petrobras, désormais affaiblie par le scandale de corruption qui touche aussi des groupes du BTP et l’ancienne coalition gouvernementale de centre gauche, était depuis plusieurs années le principal mécène culturel du Brésil.

« L’important n’est pas l’organigramme »

Malgré l’actuelle levée de boucliers, l’action de l’Etat suscitait beaucoup de critiques. Le passage d’Ana de Hollanda, la s’ur du musicien et écrivain Chico Buarque, à la tête du ministère, a été particulièrement controversée. L’Agence nationale du cinéma (Ancine), chargée d’approuver les scénarios, est devenue une « immense bureaucratie », affirment des cinéastes. Comme d’autres institutions culturelles publiques, elle était contrôlée par le Parti communiste du Brésil (PCdoB), l’organisation des anciens maoïstes, alliés de la première heure du Parti des travailleurs (PT, gauche), la formation de Lula et de Dilma Rousseff.

L’Ancine est accusée à la fois de sectarisme et de populisme, parce qu’elle soutient des projets commerciaux au détriment du cinéma d’auteur, et parce qu’elle cherche à décentraliser la production, traditionnellement concentrée à Rio de Janeiro et Sao Paulo. « Le ministère de la culture a une portée symbolique et une valeur polémique dans le contexte de polarisation politique que nous vivons, assure le philosophe Eduardo Jardim de Moraes. Mais il ne faut pas oublier que les principales avancées des politiques culturelles publiques datent d’avant la création d’un ministère spécifique. »

La preuve en est l’immeuble moderniste conçu par Le Corbusier, Lucio Costa et Oscar Niemeyer en 1936 pour le ministère de l’éducation et la culture, au c’ur de Rio. « L’important n’est pas l’organigramme, mais d’avoir une personnalité forte chargée de la culture à Brasilia », renchérit le cinéaste Eduardo Escorel. Le nouveau secrétaire à la culture aura comme première tâche de réconcilier l’intelligentsia de gauche, prompte à en découdre avec les pouvoirs, avec les nouveaux responsables des institutions culturelles fédérales.

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