Après les attentats de Nice l’esprit du 11 janvier a fait long feu

Après les attentats de Nice l'esprit du 11 janvier a fait long feu

Le Monde
| 16.07.2016 à 10h20
Mis à jour le
16.07.2016 à 14h25
|

Par David Revault d’Allonnes

Plus question de trêve. A chaque nouvel attentat commis sur le sol français, la perspective de l’union sacrée s’évanouit un peu plus rapidement. Celle-ci, après l’attaque meurtrière conduite sur la promenade des Anglais à Nice au soir de la fête nationale, semble même n’avoir jamais prévalu. Loin de « l’esprit du 11 janvier », la polémique a fusé, quelques heures à peine après le carnage. Comme si le degré de résilience de la classe politique, au diapason de celui de l’opinion, et sa capacité à résister à l’attrait de l’exploitation politicienne reculaient à chaque attaque terroriste.

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Vendredi 15 juillet dès l’aube, l’opposition de droite, à commencer par les principaux candidats à la primaire, entamait sans attendre le procès en responsabilité du gouvernement. Annoncée dans la nuit par François Hollande, qui avait pourtant évoqué sa levée dans son interview du 14 juillet, la nouvelle prolongation de trois mois de l’état d’urgence sera examinée mardi 19 par le conseil des ministres, avant d’être soumise au Parlement le lendemain. Elle a certes été soutenue par son prédécesseur Nicolas Sarkozy. Mais ce dernier demandait aussi que l’état d’urgence soit « utilisé pleinement » pour protéger les Français.

La tonalité s’avérait plus rude encore chez François Fillon : « Quand on est en guerre, on protège le territoire national. Hier, on voulait arrêter l’état d’urgence. On se demande pourquoi et quels sont les éléments qui auraient pu [l’]expliquer », a indiqué l’ancien premier ministre.

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Tout aussi ferme dans sa critique, Alain Juppé a estimé que « si tous les moyens avaient été pris, le drame n’aurait pas eu lieu ». « Bien sûr qu’il faut faire plus, qu’il faut faire mieux, a ajouté le maire de Bordeaux. D’abord en ce qui concerne nos services de renseignement. » Quant à Jean-François Copé, il l’affirme : « Ça suffit ! La guerre est en France, assumons-le enfin », écrit sur son blog le député de Seine-et-Marne et maire de Meaux. Le gouvernement « n’a absolument pas pris la mesure de l’ampleur de la menace », estime-t-il.

Interdiction du voile

Faisant fi des multiples dispositifs sécuritaires adoptés depuis les attentats de janvier 2015, d’autres personnalités de droite ont rivalisé de propositions extrêmes. Voire franchement farfelues. « On doit pouvoir stopper un camion qui ne répond pas aux sommations, a déclaré le député Henri Guaino (Les Républicains, Yvelines). (‘) Il suffit de mettre à l’entrée de la promenade des Anglais un militaire avec un lance-roquettes et il arrêtera le camion. »

Son collègue Frédéric Lefebvre (Les Républicains, Français établis hors de France), lui, préconise même l’instauration de l’état de siège, déclenché pour la dernière fois en France en 1939. Il demande « l’application de l’article 36 de la Constitution et le transfert au ministre de la défense et aux autorités militaires de notre sécurité civile ». Quant au député Jacques Myard (Les Républicains, Yvelines), il prône, entre autres, « d’expulser tous les binationaux en voie de radicalisation » et « d’appliquer partout sur le territoire national l’interdiction du voile ».

A l’extrême droite, Marine Le Pen, présidente du Front national, a semblé renvoyer le gouvernement à ses déclarations belliqueuses de novembre dernier, notamment sur l’état de « guerre » : « La guerre contre le fléau du fondamentalisme islamiste n’a pas commencé, il est urgent maintenant de la déclarer. »

Face à ce déferlement de mises en cause et à la tempête politique qui gronde, le duo exécutif a tenté de resserrer les rangs. Et de stabiliser un terrain du débat devenu de plus en plus glissant. « On a voulu atteindre l’unité de la nation française, a plaidé Manuel Valls en sortant du conseil de défense convoqué à l’Elysée vendredi matin. Alors la seule réponse digne, responsable de la France, sera celle qui restera fidèle à l’esprit du 14-Juillet, c’est-à-dire celui d’une France unie et rassemblée autour de ses valeurs. Et nous ferons bloc, c’est la seule exigence qui vaille aujourd’hui. »

Un peu plus tard, au « 20 heures » de France 2, le premier ministre a de nouveau réagi aux critiques d’une partie de la droite contre l’exécutif : « Toutes les polémiques qui divisent sont stériles, a-t-il dit. J’en ai assez qu’on remette en cause, non pas le premier ministre ou le ministre de l’intérieur, mais les forces de sécurité, les policiers, les services de renseignement. Une campagne présidentielle ne mérite pas qu’on divise le pays. » A l’appui de cette tentative de restaurer l’union nationale, le président de la République avait décrété vendredi matin un deuil national de trois jours (de samedi à lundi) et la mise en berne des drapeaux.

François Hollande, qui s’est rendu vendredi à Nice pour une visite du Centre opérationnel départemental des Alpes-Maritimes et du centre hospitalier universitaire Pasteur, a tenu à défendre l’action de son gouvernement. Il a, selon lui, déployé « tous les moyens nécessaires ».

« Nous sommes toujours devant la menace », a insisté le chef de l’Etat. M. Hollande a évoqué « un combat très long » qui « exige beaucoup de sang-froid et de lucidité de la part de ceux qui ont à prendre des décisions ». Le président de la République devait présider samedi un conseil restreint de sécurité et de défense, et réunir dans la foulée le gouvernement à l’Elysée. Il a appelé au calme et « à une certaine exigence, hauteur de vue par rapport à ce que peut ressentir la population la colère, la haine ».

Ce que le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis traduisait en termes plus politiques, appelant à « rester unis » et jugeant « indigne de polémiquer en espérant un gain sur le dos des morts et la colère des Français ». Il n’est pas certain qu’au vu de la tension politique constatée dans les 24 heures qui ont suivi l’attaque, ces appels au calme soient suivis d’effet. Voilà qui augure mal du climat et de la surenchère qui s’ensuivrait, si d’aventure un attentat intervenait pendant la future campagne présidentielle.

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