Analyse de l’infographie diffusée par l’Etat islamique à l’occasion des deux ans de la proclamation du  califat 

Analyse de l'infographie diffusée par l'Etat islamique à l'occasion des deux ans de la proclamation du  califat 

Transmise par l’agence de propagande A’maq, qui relaie les actions de l’organisation à la fois dans les territoires qu’elle contrôle et à l’étranger, cette infographie diffusée en français en anglais et en russe célèbre la « propagation de l’Etat islamique ».

L’objectif de l’EI étant de réunir sous sa bannière et sous le guide de son leader Abou Bakr Al-Baghdadi, autoproclamé « calife Ibrahim », l’ensemble des croyants, l’infographie présente un grand nombre de territoires et d’Etats où vivent des communautés musulmanes.

Malgré un usage copieux de la cartographie on compte pas moins de dix-neuf silhouettes de pays, éparpillés sur trois continents de l’Europe à l’Asie, en passant bien évidemment par le Moyen-Orient, terrain d’action privilégié et berceau de l’organisation djihadiste , l’infographie n’est pas construite selon une logique géographique, mais politique et stratégique.

En détail :
 

deux ans d’évolution de la présence de l’Etat islamique en Syrie et en Irak en cartes

Organisé en trois strates, ce document présente les « zones de contrôle majeur » de l’EI (Syrie et Irak), les « zones de contrôle moyen » (comme aux Philippines, au Nigeria et en Tchétchénie) et les « zones de présence de cellules secrètes » (comme en France, en Turquie et au Bangladesh).

Les zones de « contrôle majeur » : un artifice de propagande

La Syrie et l’Irak sont présentés comme des territoires de « contrôle majeur » : outre à constituer les principaux théâtres d’opération de l’EI, ces deux pays regroupent les territoires conquis pas l’organisation, ce qui lui a ensuite permis de proclamer un califat. Ce point marque une rupture avec la stratégie déterritorialisée de sa « s’ur ennemie » djihadiste Al-Qaida.

Née d’une branche dissidente d’Al-Qaida en Irak, et ayant profité du chaos syrien pour revenir sur le devant de la scène et gagner en effectifs, l’EI a rendu inexistante la frontière issue des accords de Sykes-Picot, imaginant en 1916 le partage des territoires de l’Empire ottoman entre France et Royaume-Uni. Par un artifice graphique, cette frontière contestée par l’organisation disparaît d’ailleurs de la carte principale, cachée sous un bloc de texte, alors qu’elle reste présente dans la carte en perspective cavalière en haut de l’image.

Autre élément qui révèle la finalité propagandiste de l’infographie, les deux pays sont montrés dans leur entier, alors que l’organisation marque un lent recul dans la plupart de ses terrains d’opérations, sous l’offensive menée par les forces gouvernementales (en Syrie et Irak), par les combattants kurdes (en Syrie et Irak) et par les milices chiites (Irak).

Les zones de « contrôle moyen » : un arrangement avec la géographie

Dix pays ou régions sont représentés pour être des territoires sur lesquels l’organisation exerce un contrôle modéré. Dès lors, se pose la question du choix de ces pays, qui ne recoupent ni des pays ou régions dans lesquels l’EI a proclamé des provinces (wilayat), ni des territoires où des groupes djihadistes ont prêté allégeance à l’EI.

Ce type de représentations ne correspond pas à la géographie habituellement diffusée sur l’organisation. Ainsi, trois wilayat ont été proclamés par l’EI en Libye, qui figure ici en un seul morceau. De leur côté, la Tchétchénie et le Daghestan sont cartographiés en tant que pays autonomes, alors que ces deux Républiques de la Fédération de Russie sont d’habitude incluses dans l’émirat du Caucase, groupe djihadiste apparu en 2007, et dont une partie des membres ont prêté allégeance à l’EI en juin 2015.

D’autres approximations et exagérations sont à relever. L’Egypte est montrée dans son entier, or la présence du groupe n’est à signaler que dans le Sinaï. Bien implantée dans le nord-est du Nigeria depuis que le groupe Boko Haram lui a prêté allégeance en mars 2015, la présence de l’EI est beaucoup plus contestable au Niger malgré l’attaque revendiquée au début de juin dans la ville frontière de Bosso, tandis que le Cameroun, où plusieurs attentats ont été attribués à Boko Haram, est ignoré.

A noter également, la surprenante absence de l’Indonésie, victime de plusieurs attaques revendiquées par l’EI au début de l’année. Avec ses 250 millions d’habitants, l’archipel est le pays musulman le plus peuplé au monde (85 % des habitants) ; sa population est majoritairement jeune et très connectée, ce qui en fait un terreau potentiel de poids pour l’EI.

Les cellules secrètes : une stratégie de communication

Sept pays enfin l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Algérie, la France, la Tunisie, le Liban et le Bangladesh sont mentionnés comme abritant des cellules secrètes de l’EI. Ils sont en fait les cibles principales de l’organisation. La France est le seul pays européen ouvertement visé ici. Mais pourquoi la France et pas la Belgique, elle aussi victime récente de l’organisation ‘ Ce choix soutiendrait l’hypothèse selon laquelle les récents attentats de Bruxelles ont été précipités dans le contexte de l’enquête des attaques du 13 novembre, mais que la véritable cible reste la France.

Les autres pays présents au bas de cette infographie ont déjà été visés à plusieurs reprises par le groupe dans des attentats sanglants. Le Bangladesh l’a été au lendemain de sa diffusion, le vendredi 1er juillet, où vingt personnes sont mortes dans une attaque contre un restaurant de Dacca fréquenté par la communauté expatriée. Le pays était jusqu’alors connu pour être le terreau de son organisation terroriste rivale : Al-Qaida. Ce pays, où vivent 145 millions de musulmans, est un terrain propice : en proie à des tentations extrémistes, il est également une porte d’entrée vers l’Inde.

On remarque aussi comment les pays ayant connu des attaques perpétrées par des individus se revendiquant de l’EI sans y appartenir formellement, comme les Etats-Unis, ne figurent pas dans l’infographie. On peut s’interroger sur l’évolution de la stratégie de communication de l’organisation qui, en novembre 2014, après avoir célébré la proclamation de 9 provinces disséminées en Afrique et au Moyen-Orient, appelait dans les colonnes de son magazine de propagande anglophone Dabiq des « loups solitaires » à conduire des attaques aux Etats-Unis, en Europe, au Canada et en Australie.

Cette infographie soignée emprunte tous les canons d’une agence de presse : bandeau avec signature de l’agence A’maq en bas de l’image, couleurs vives, soin dans le choix graphique. Elle s’inscrit dans la stratégie de propagande de l’organisation, destinée à la fois à rassurer ses partisans et à nourrir la peur de ses adversaires en montrant une présence diffuse et cachée.

Le choix des couleurs n’est pas innocent : le rouge employé pour désigner les cellules secrètes participe à l’état d’urgence qui prévaut dans ces pays face à la menace terroriste. Les approximations parmi lesquelles la représentation de tous les pays à la même échelle (le Liban apparaissant comme presque aussi grand que le Bangladesh, alors que ce dernier est 13 fois plus grand) en font définitivement une infographie sensationnaliste.

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