A Hongkong les révélations d’un éditeur  disparu  renforcent la crainte de la Chine

A Hongkong les révélations d'un éditeur  disparu  renforcent la crainte de la Chine

Le Monde
| 17.06.2016 à 15h23
Mis à jour le
18.06.2016 à 12h41
|

Par Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)

Samedi 18, juin, Lam Wing-kee, l’un des cinq libraires « disparus » de Hong Kong comme on les appelés, a pris la tête d’une manifestation, défiant Pékin et les autorités locales de s’expliquer sur ces enlèvements. L’éditeur hongkongais et ses quatre homologues avaient été arrêtés à l’automne 2015 et retenus en Chine pendant plusieurs mois, après avoir vendu des ouvrages critiques envers Pékin.

En révélant le 16 juin les conditions de sa « collaboration volontaire » avec les autorités chinoises, depuis cette mystérieuse disparition, Lam Wing-kee a déclenché un scandale au retentissement colossal. Ses retombées politiques n’ont pas fini de se faire sentir à Pékin comme à Hongkong.

Dans la région administrative spéciale, plusieurs manifestations monstres avaient demandé ces derniers mois la libération des cinq éditeurs « disparus ». La fille de l’un d’entre eux, Gui Minhai, témoignait le 24 mai, devant le Congrès américain, de sa certitude que son père était détenu contre son gré. Mais rien n’y faisait : Pékin avait réussi son coup, intimider tous les candidats à l’édition de livres embarrassants sur les dirigeants du parti communiste, tout en sauvant les apparences.

Le récit circonstancié de sa détention par Lam Wing-kee a dissipé tous les doutes qui entouraient sa mésaventure. Il fait s’effondrer un échafaudage de mensonges. La Chine l’a séquestré alors qu’aucune loi à Hongkong n’interdit de publier les livres en question. Les procédures juridiques normales n’ont pas été respectées. Ses geôliers une équipe spéciale d’enquête dépêchée par la direction du Parti communiste l’ont laissé revenir à Hongkong à la mi-juin pour qu’il récupère un disque dur contenant les données des clients chinois de la librairie. Et parce qu’ils gardaient en détention sa compagne chinoise.

« Il ne s’agit pas simplement de moi et d’une librairie »

Au moment de repartir en Chine, Lam Wing-kee a eu l’incroyable courage de faire volte-face. « Si je ne parle pas, il n’y a plus aucun espoir pour Hongkong », a-t-il déclaré devant des dizaines de journalistes. Avant de conclure : « Il ne s’agit pas simplement de moi et d’une librairie. Cela concerne tout le monde. La ligne rouge a été franchie, pour nous les Hongkongais. Nous ne céderons pas à la force brute. »

Ce coup de théâtre dans la « saga des éditeurs » est lourd d’implications pour la Chine et ses relations avec la région administrative spéciale, car il valide les craintes d’une partie grandissante de la société hongkongaise. Une demi-douzaine de nouveaux partis politiques issus de la « révolte des parapluies « de 2014 ont vu le jour en moins d’un an. Certains brisent un tabou en revendiquant ouvertement l’indépendance pour Hongkong, qui est auto-gouverné selon la règle « un pays, deux systèmes ».

Ce principe, sur lequel s’étaient entendus les Britanniques et les Chinois lors de la rétrocession de Hongkong à la Chine en 1997 pour une durée de cinquante ans, donc jusqu’en 2047, est au c’ur de vifs débats. Les nouveaux politiciens issus des « parapluies » n’y croient plus : selon eux, Pékin a perverti la formule à son avantage comme le confirme l’affaire des éditeurs. « Les agissements de Pékin sont vus à Hongkong comme une attaque contre l’état de droit, la liberté d’expression et toutes les valeurs que chérissent les Hongkongais et qui étaient censées être protégées », expliquait en avril au Monde le politologue Brian Fong, un spécialiste des réformes politiques à Hongkong qui étudie depuis plusieurs années la montée du sentiment localiste. Elles nourrissent une « anxiété », dit-il, qui se transforme en action politique.

Risque de fissuration dans le camp pro-Pékin

Demosisto, le parti du jeune militant Joshua Wong, l’égérie du mouvement des « parapluies », a proposé lors de sa création, en avril 2016, un référendum en 2030 sur ce qui devait se passer après 2047. Vendredi, ses militants se sont rendus devant le bureau de liaison de la Chine à Hongkong, portant des T-shirts « choisissons notre avenir » et dénonçant les « enlèvements transfrontaliers ».

Le principe « un pays, deux systèmes » est vu comme un rempart aux ingérences chinoises : c’est en son nom que les mésaventures de Lam Wing-kee et de ses collègues sont jugées inacceptables par nombre de Hongkongais. Certaines voix au sein du camp démocrate opposé à la coalition de partis pro-Pékin qui détient la majorité plaident pour sa prolongation au-delà de 2047, et pour son renforcement, afin qu’aucun Hongkongais ne soit plus soumis à l’arbitraire qui règne en Chine. L’enjeu est de permettre à la région de garder son statut d’exception démocratique.

Même l’alliance des politiciens hongkongais pro-Pékin au gouvernement, avec les oligarques qui les soutiennent, risque de se fissurer à la suite des révélations de Lam Wing-kee, tant elles défient les règles du jeu établies entre la Chine et sa Région administrative spéciale. Le scandale risque d’exacerber davantage encore les tensions avec la Chine et pourrait mener à une victoire symbolique du camp démocrate lors des élections de septembre pour le renouvellement du Legco, le Parlement hongkongais.

Leave A Reply