Pour une interdiction préfectorale des  Diminu-tifs   Atmosph’hair  ou autres  Créa’tifs 

Pour une interdiction préfectorale des  Diminu-tifs   Atmosph'hair  ou autres  Créa'tifs 

 « L’enfance de lard ».  Quelques rues plus loin,  » Le Rally-Tournelle ».  L’irritation monte. On dépasse l' »A priori thé » puis « Récep-tifs » , les naseaux en feu.  « Hair du temps » : c’est la goutte d’eau. L’exaspération est à son comble : une seule envie nous envahit,  plastiquer la devanture,  la balafrer de peinture, la ripolino-sulfater..

J’aime  les jeux de mots, les étincelles qu’ils produisent. Et pourtant, ceux que l’on trouve dans les  commerces (coiffeurs  en priori-thé) ne me charment jamais. Pis, je les ai en horreur, ils m’éc’urent.

Est-ce l’écrit qui provoque ces sentiments nobles et fougueux bien que quelque peu excessifs  ‘  Pas entièrement. Les titres de Libération sont, eux aussi,  imprimés et, chaque jour, j’admire les trouvailles. Mieux,  je ne m’en lasse pas (je suis peut-être bien seule dans ce cas).  Sans doute est-ce parce qu’une édition chasse l’autre et que le jeu de mots finit par s’envoler. Loin. De la même manière, un jeu de mot au détour d’un paragraphe, dans un livre, une revue, est tout à fait charmant. On tourne la page et il reprend sa vie, à la manière d’un frigo fermé dont la lumière s’éteint (enfin, si l’on veut, personne n’a jamais vraiment percé ce mystère). C’est davantage le caractère figé du jeu de mot  qui chagrine : à la manière d’un papillon, capturé en plein vol, il se retrouve fixé, cloué, épinglé, dans l’incapacité d’évoluer, de s’envoler.

Nombres d’analyses savantes du jeu de mots ont été faites (Freud, Todorov, etc.). A cet égard,  il a été notamment question de « défigement »  (Sullet-Nylander): en gros, très gros, on part d’une expression figée (titre de livre, de film, proverbe) et l’on opère un décalage, un déplacement qui libère l’expression. Ainsi passe-t-on des Raisins de la colère aux « raisons de la colère ». La beauté du jeu de mots réside non seulement dans son résultat final mais aussi dans le mouvement, dans sa dimension éphémère, dans la vie qui l’anime, dans ses possibilités d’évolutions : nul ne sait où la vanne nous portera.

Fixé au fronton d’une boutique,  le jeu de mots  perd cette liberté. Non seulement parce qu’il est le produit d’une convention (il n’est pas le fruit d’une  quelconque audace prise par tel ou tel coiffeur mais un (esthé)tic professionnel) et qu’il a quelque chose de mécanique mais surtout parce qu’il finit par ressembler à un arrêt sur image. A ceux, en particulier, qui nous surprennent en plein discours et qui nous montrent la bouche tordue, le visage oblique, l’oeil vitreux et la mine chafouine (quand nous étions si beaux, si vivants, si charismatiques). Le jeu de mots, produit d’un défigement, est  ainsi refigé et devient grinçant : « l’imaginaire arrêté, saisi, immobilisé […]  comme par l’effet d’un instantané photographique, devient une sorte de grimace »   écrivait Roland Barthes dans le Mollet de la danseuse (Roland Barthes par Roland Barthes). Un instantané sur les muscles turgescents du mollet de la danseuse tuent la grâce du geste. C’est le comble de la vulgarité pour R.B. Ainsi en va-t-il du jeu de mot placardé.

Vulg’Hair Affirma’tif.

Signaler ce contenu comme inapproprié

Leave A Reply